• L'Appartement - de Stephan LEWIS -

     

    A-L'Appartement

     

    L'Appartement

     
    Stephan LEWIS
     
           
            Patrick, un jeune célibataire de 25 ans, a récemment emménagé dans un appartement parisien du XVIème, afin de rapprocher son lieu de travail. Le programme télévisé qu'il visionnait depuis le début de soirée ayant fini par le lasser, l'a incité à se mettre au lit.
     
            L'horloge du salon indique 23h15, lorsque des coups frappés à sa porte avec insistance et aussitôt associés à un concert de sonneries, le sortent brutalement de sa léthargie naissante. Il s'est réveillé en sursaut. Le cœur battant, les yeux hagards, il s'est redressé sur un coude et s'est passé une main ouverte dans les cheveux. Qui peut bien le déranger à cette heure, dans cet immeuble où il ne connaît encore personne ? L'esprit empli d'une évidente suspicion, il a enfilé ses savates et a passé sa veste d'intérieur, avant de se diriger à pas feutrés vers la porte d'entrée, à tâtons dans le noir, sans allumer l'interrupteur. Prêtant l’oreille et l'œil collé au judas, c'est le visage blême d'une jeune femme, visiblement affolée, qui lui apparaît dans la lumière du long couloir.
     
            - S'il vous plaît, ouvrez je vous en supplie !... implore-t-elle d'une voix crispée, sur un ton empressé ...
     
            La mine ennuyée et la main sur le bec-de-cane, Patrick hésite en esquissant une grimace de contrariété, évitant de faire le moindre bruit ... Que peut donc lui vouloir cette inconnue à pareille heure ?
     
            - Ouvrez-moi, ouvrez-moi !... insiste la jeune femme d'une voix de plus en plus tendue, entrecoupée de sanglots spasmodiques.
     
            Subitement confronté à un sentiment de culpabilité en refusant son assistance à cette jeune personne manifestement en détresse, c'est la compassion qui prend subitement le pas sur l'indifférence. Et c'est par réflexe que Patrick a tourné la clé dans la serrure pour libérer la porte qui s'est aussitôt ouverte sur l'inconnue.
     
            A sa stupéfaction et avant même d'y avoir été conviée, elle s'est ruée à l'intérieur de l'appartement en éclatant en sanglots, manquant de bousculer son locataire.
     
            Déconcerté, ce dernier a refermé la porte après avoir vérifié que le couloir était désert. Il a aussitôt allumé la lumière. Et c'est d'un air embarrassé et interloqué, qu'il détaille cette jeune personne à peine âgée de plus d'une vingtaine d'années, au demeurant audacieuse, voire même sans gêne, qui s'est introduite de manière si légère dans son intimité. Elle a l'air d'un animal traqué et sa respiration est saccadée, courte, presque précipitée. Son visage tendre et juvénile, parsemé de quelques taches de rousseur, couvert d'ecchymoses et ravagé par les larmes, reflète la plus extrême frayeur. Ses cheveux blonds en bataille et le peignoir dont elle est vêtue, déchiré en divers endroits, lui confèrent un air dément.
     
            En reniflant bruyamment, elle le dévisage à son tour avec des yeux de saphir, pâles et transparents. Elle a essuyé furtivement ses larmes avec des mains aussi blanches que le marbre.
     
            - Calmez-vous mademoiselle... Que vous arrive-t-il donc pour que vous vous mettiez dans un tel état ?... s'émeut Patrick en esquissant un geste apaisant.
     
            - C'est à cause de mon ami... sanglote-t-elle.
     
            - Votre ami ? Vous demeurez dans cet immeuble ?
     
            - Oui, à cet étage.
     
            - Vous vous êtes disputés ?... pressent Patrick, sourcils froncés.
     
            - Regardez ce qu'il m'a encore fait... le convie-t-elle aussitôt, en lui dévoilant son faciès gauche contusionné.
     
            - Il vous a frappée !... en déduit tout naturellement Patrick avec une grimace de dépit.
     
            - Il m'a cogné dessus à plusieurs reprises. Puis-je passer la nuit ici monsieur, s'il vous plaît ?... le sollicite-t-elle à brûle pourpoint d'une voix subitement suppliante, en écrasant une larme.
     
            - C'est que ... je n'ai que cette chambre... argumente-t-il gauchement, ne s'attendant certes pas à une telle requête émanant d'une inconnue ; cherchant même ses mots devant cette situation des plus délicates ...
     
            - Je dormirai là... le presse-t-elle précipitamment en désignant le canapé encore encombré de quelques cartons du déménagement, tandis que des larmes ont de nouveau roulé sur ses joues.
     
            - Je ne voudrais pas m'attirer d'ennuis avec votre compagnon... argumente Patrick, manifestement contrarié par cette sollicitation au demeurant préjudiciable.
     
            - Il n'y a aucun danger. Il ne me cherchera pas ici ... le tranquillise-t-elle entre deux sanglots.
     
            Un embarras marqué s'est peint sur le visage de Patrick.
     
            - Bon. C'est bien pour vous rendre service. Installez-vous du mieux que vous pourrez. Je vais vous chercher de quoi vous couvrir.
     
            Bientôt étendue sur le canapé et enroulée dans sa couverture, la jeune femme n'a pas tardé à s'endormir comme une masse, après avoir étouffé quelques sanglots. Et c'est avec un haussement d'épaules et après avoir jeté un dernier coup d'œil dans son judas, que Patrick a regagné sa chambre.
     
            Le lendemain, 7 h 38 ...
     
            Le bruit de la rue qui s'est amplifié a réveillé notre dormeur, dont les yeux sont encore gonflés de sommeil. Son réveil n'a pas sonné, étant donné qu'il bénéficie de quelques jours de vacances, conséquemment à son déménagement. Il s'est étiré paresseusement en étouffant un long bâillement. Puis, sa mésaventure de la veille lui venant à l'esprit, il s'est pressé de passer sa veste d'intérieur. Traînant les pieds dans ses savates, il s'est dirigé nonchalamment vers le salon où se trouve la jeune femme.
     
            Surprise ! ... La couverture est soigneusement pliée sur le divan, mais cette dernière a disparu.
     
            Le visage marqué par l'étonnement, il est allé condamner sa porte afin de pouvoir prendre sa douche en toute tranquillité. Son intruse d'un soir a dû regagner le domicile conjugal et s'être réconciliée avec son compagnon. Il ne connaît même pas son identité. Peu importe. Peut-être la croisera-t-il plus tard dans l'ascenseur ou la rencontrera-t-il dans le quartier. Sans y accorder plus d'importance, il a aussitôt vaqué à ses occupations quotidiennes.
     
            23 H 10 ...
     
            Patrick vient d'éteindre son téléviseur et se prépare à gagner sa chambre, lorsque des coups assourdissants sont frappés à sa porte, le faisant sursauter. La sonnette ne tarde pas à prendre le relais, résonnant dans tout l'immeuble avec insistance.
     
            Avec un geste de mauvaise humeur, il s'est approché du seuil d'entrée pour jeter un œil énervé à travers le judas. Il en reste aussitôt bouche bée, les sourcils en accents circonflexes. Le visage qu'il vient de distinguer est celui de la jeune femme en pleurs, hébergée la veille.
     
            - Encore vous !... ne peut-il s'empêcher de s'exclamer d'une voix irritée à travers la porte.
     
            - Ouvrez-moi monsieur, je vous en supplie !...Vite ouvrez-moi, il va me tuer !
     
            Avec une grimace de contrariété, Patrick s'est exécuté de mauvaise grâce, laissant fuser un long soupir de résignation.
     
            La porte s'est à peine ouverte, qu'elle s'est écroulée dans ses bras en étouffant un gémissement, avant de se confondre en remerciements.
     
            - Merci ! Merci !... ne cesse-t-elle de ressasser inlassablement... Tout son corps est agité d’un tremblement nerveux et ses traits sont restés figés en un masque douloureux, reflétant encore une terreur folle.
     
            Patrick a immédiatement remarqué que sa joue droite était tuméfiée et que des couleurs violacées s'étendaient sous l’œil droit.
     
            - Vous devriez prévenir la police... grimace-t-il en refermant la porte... Mais vous saignez du nez et houla !! Cette fois, il vous a salement amochée... poursuit-il en constatant les multiples contusions apparentes sur le visage de la malheureuse... Je contacte immédiatement le poste de police... décrète-t-il d'office avec un mouvement d'humeur.
     
            Il s'est aussitôt dirigé vers le combiné téléphonique, en proie à une fureur naissante contre l'auteur anonyme de ces souffrances gratuites infligées à cette pauvre femme, qui est apparemment son incessante souffre-douleur.
     
            - Non, ne faites pas ça monsieur !... se presse-t-elle de supplier, levant sur lui un regard désemparé, peinant à réfréner ses sanglots et se tordant inconsciemment les mains.
     
            - Mais, vous ne pouvez pas continuer à subir de telles sévices !... s'emporte Patrick... Il vous bat fréquemment ?
     
            - Seulement lorsqu'il a bu... lâche-t-elle du bout des lèvres en reniflant.
     
            - Regardez-moi ça ! Vous avez l'arcade sourcilière ouverte ! Vous ne pouvez plus vivre dans cette terreur permanente et vous laisser humilier de la sorte. Cet énergumène finira par vous tuer !
     
            - Je ne veux pas qu'il ait d'ennuis monsieur... le prie-t-elle précipitamment, de nouveau au bord des larmes... Ce comportement n'est pas le sien lorsqu'il ne boit pas.
     
            - Ce n'est pas une raison et vous avez tort de le défendre de la sorte.
     
            - S'il vous plaît monsieur, laissez-moi dormir sur le divan. Demain il s'excusera de m'avoir frappée. Je vous en prie.
     
            La lèvre gonflée en une moue d'ennui, Patrick semble loin d'être convaincu par ses propos optimistes. Il s'est contenté d'opiner de la tête, marquant néanmoins sa désapprobation par un geste fataliste. Puis il est allé chercher des couvertures.
     
            - Voilà... soupire-t-il en les déposant sur le lit de fortune. Mais c'est la dernière fois. Je ne tiens pas à être mêlé à vos histoires de couple. Vous devriez en parler à la police. Mais c'est votre affaire. Je vous souhaite de passer une bonne nuit.
    Ce disant et en ronchonnant, Patrick a gagné sa chambre, l'air dépité.
     
            7 H 40 ...
     
            Patrick vient d'entrouvrir timidement une paupière, ébloui par la lumière qui filtre au travers des rideaux. C'est une belle journée qui s'annonce, le soleil est au rendez-vous. Il en profitera pour cheminer dans Paris, la reprise du travail étant programmée pour le début de semaine prochaine.
     
            Il a passé sa veste d'intérieur et s'est dirigé, comme à son habitude, vers le salon, se demandant si son hôte était encore présente. La couverture a été pliée sur le canapé, mais la dormeuse brille une nouvelle fois par son absence.
     
            Comme la veille, et sans y accorder plus d'importance, il a condamné la porte en esquissant un geste d'indifférence, avant de se rendre sous la douche.
     
            23 h 25 ...
     
            La sonnette d'entrée vient de retentir, surprenant Patrick en train de lire dans son lit. Avec une grimace de contrariété, il a posé son livre sur la table de nuit et a enfilé ses savates. Il s'est aussitôt dirigé vers la porte, la sonnerie se faisant de plus en plus insistante, tandis que des coups répétés sont maintenant frappés sur le battant.
     
            - C'est pas vrai !... peste-t-il avec un geste d'humeur, en laissant échapper un soupir d’énervement. Et c'est sans la moindre surprise qu'il découvre la silhouette de la jeune femme des soirées précédentes à travers le judas, dont les traits, figés en un masque douloureux, reflètent de nouveau la terreur.
     
            La porte s'est à peine ouverte, que c'est sans même lui en demander la permission qu'elle s'est engouffrée précipitamment une fois de plus à l'intérieur de l'appartement, pour s'effondrer en pleurs sur le canapé.
     
            La moue irritée, en proie à une colère naissante, Patrick a refermé la porte d'un mouvement sec de la main, consécutif à sa mauvaise humeur.
     
            - Cela ne peut continuer ! Où vous croyez-vous mademoiselle ? Je désapprouve votre conduite et condamne celle de votre piteux compagnon. Et si vous ne vous rendez pas dans un poste de police, c'est moi qui irai déposer plainte. Et contre vous cette fois... s'emporte-t-il, l'air exaspéré, la menace assortie d'un juron.
     
            - Je vous en conjure monsieur... supplie-t-elle d'une voix étranglée en reniflant bruyamment, le visage enfoui au creux de ses mains, les épaules secouées par de silencieux sanglots nerveux... Laissez-moi dormir ici cette nuit où il va me tuer... argumente-t-elle sur un ton tragique, la lèvre inférieure sujette à un léger tremblement.
     
            - Mais vous vous rendez compte de la situation ? Et regardez dans quel état cet imbécile vous a encore mise !... s'indigne-t-il en haussant le ton, constatant qu'un mince filet de sang s'écoule le long de son oreille gauche et que son visage est encore tuméfié... Tamponnez-vous la tempe avec ce mouchoir. J'aime autant vous dire que c'est bien la dernière fois que vous passerez la nuit chez moi. Si demain vous me dérangez encore à cette heure tardive, je téléphonerai à la police.
     
            - C'est promis monsieur. C'est la dernière fois que je vous ennuie. Je vous remercie infiniment pour votre bonté... assure-t-elle d'une voix larmoyante.
     
            Sans accorder le moindre crédit à ses dires et après avoir soigné sommairement ses blessures, Patrick est de nouveau allé se munir de la couverture. Avec un soupir d'énervement, il l'a déposée sur les genoux de l'importune, déjà installée sur le canapé.
     
            - Je vous souhaite une agréable nuit mademoiselle. Mais dites-vous bien que c'est la dernière fois que je cède à vos doléances. Je vous conseille encore une fois de déposer une plainte auprès des services de police. Cette formalité est à accomplir dans l'urgence.
     
            Et Patrick s'est aussitôt dirigé vers sa chambre, en ayant un mouvement d'épaules fataliste, l'heure étant déjà bien avancée.
     
            Le lendemain matin, 7 h 27 ...
     
            Patrick a mal dormi, ressassant sans cesse les visites intempestives de la jeune inconnue. L'esprit embrouillé, il a sauté en bas du lit pour constater une nouvelle fois et sans surprise, la disparition prématurée de sa protégée.
     
            Après une douche froide qui lui a clarifié l'esprit, il a expédié son petit déjeuner à la hâte, agrémenté d'un café corsé. Exaspéré, mais inquiet, il a quitté l'immeuble avec la ferme intention de se rendre au poste de police le plus proche.
     
            L'inspecteur qui l'a reçu l'a invité à le suivre dans son bureau. Il est demeuré des plus attentifs à son audition et lui a présenté quelques photos de femmes battues, le priant de bien vouloir vérifier si l'inconnue en question figurait sur l'une d'elles.
     
            Après en avoir consulté quelques-unes, Patrick a pointé l'une des photographies sans la moindre hésitation, identifiant avec assurance l'intéressée.
     
            Le policier, après l'avoir examinée, a dévisagé Patrick, sourcils froncés, en se passant lentement la main sur le menton, signe d'une évidente suspicion.
     
            - Quoi ? Qu'y a-t-il ?... s'étonne ce dernier.
     
            - Vous êtes certain que c'est bien cette personne qui vous a rendu visite ces trois dernières nuits ?...
     
            - Absolument. Je ne pourrai jamais oublier son visage.
     
            - Bizarre votre histoire. Cette jeune femme est décédée la semaine dernière, après avoir été battue à mort par son concubin ...
    * (droits déposés)
     
     
    --------------------0-------------------- 

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :