• Le Musée - de Stephan LEWIS -


    A - MUSEE
     
    Le Musée
     
    Stephan LEWIS
     
     
     
    Vendredi 29 septembre 2011
     
    En cette magnifique fin de journée parisienne, Martin, célibataire trentenaire, flâne depuis une heure dans les couloirs interminables de la galerie Rolf Lutz. Grand amateur d'art, il a toujours entretenu une passion inégalée pour la peinture.
     
    Il vient de marquer une pause devant un tableau de Guy de Montlaur, peintre contemporain français décédé en 1977. Il en est à s'interroger sur la vie de cet artiste méconnu du grand public, lorsqu'un léger bruissement attire son attention. Un homme d'une soixantaine d'années, dont il n'avait pas soupçonné la présence, se tient immobile dans l'encoignure de la galerie, non loin de l'œuvre du peintre. Il a immédiatement remarqué qu'il était élégamment vêtu. A cette heure de la journée où l'obscurité s'est progressivement répandue dans le musée qui ne devrait d'ailleurs plus tarder à fermer ses portes, la plupart des visiteurs a déjà déserté les lieux. Par politesse, Martin lui a adressé un salut d'un hochement de tête, auquel l'autre a aussitôt répondu avant de s'approcher, presque timidement.
     
    - Guy de Villardi, comte de Montlaur appartenait à l'une des plus anciennes maisons de France... murmure-t-il du bout des lèvres... Vous connaissez son œuvre ?
     
    - Plus ou moins. Si je me souviens bien, c'était un peintre expressionniste. J'avoue être tombé sur cette toile par hasard.
     
    - Il a en fait subi l'influence de différents courants. Du cubisme en 1943-1945 à l'art libératoire à la fin de sa vie, en passant par la période baroque dans les années 60. Une légende urbaine prétend que son fantôme se manifesterait de temps à autre dans la galerie.
     
    - Ah bon... sourit Martin, pour le moins subitement intrigué.
     
    - Le bruit court qu'il veillerait jalousement sur cette peinture qu'il réalisa juste avant sa mort... précise l'homme en désignant l'œuvre du peintre intitulée "Mater Dei" ...
     
    - Ce tableau prône une évidente émotion... note Martin... Il s'en dégage certains sentiments par le biais de ses formes abstraites bien qu'irréelles, mais très représentatives. On y voit nettement l'utilisation du couteau à palette... commente-t-il encore pensivement.
     
    - Effectivement. Et c'est vers la fin de sa vie que son style évoluera. Sa pratique de l'art abstrait, comme vous pouvez le constater, lui permettra d'exprimer totalement sa passion intérieure.
     
    - Vous semblez bien connaître ce peintre... s'étonne Martin.
     
    - En effet. Je suis un passionné des arts et je me rends très souvent dans ce musée. J'en connais tous les recoins.
    - Vous avez une opinion sur le fait qu'il soit malencontreusement resté dans l'anonymat ?
     
    - Elle vaut ce qu'elle vaut. Mais pour moi, son savoir-faire aurait dû être reconnu par ses pairs. Il se devait d'être considéré comme l'un des maîtres de l'expressionnisme. Toute sa vie, bien qu'ayant exprimé différents courants, il a souffert de l'indifférence de la profession à son égard, laquelle n'a jamais légitimé son talent.
     
    - En tant qu'habitué des lieux, avez-vous eu l'occasion d'apercevoir son spectre ? ... risque Martin, l'air enjoué.
     
    - Malheureusement non. Mais quelques visiteurs, appartenant à ses rares admirateurs, auraient eu ce privilège en l'identifiant, à leur plus profond désarroi, au détour d'un couloir. Précisément en fin de journée, lorsque tombe le soir. Cette singulière rencontre n'aurait duré, d'après leurs dires, que l'espace d'un instant, avant que l'apparition ne se volatilise en quelques fractions de secondes.
     
    - Alors patience... sourit Martin... Si cette légende est bien fondée, nous ne devrions plus tarder à nous en assurer.
     
    - Ce n'est qu'une fable, mais sait-on jamais... rétorque l'homme... Maintenant je dois vous laisser. Vous me voyez très heureux d'avoir pu avoir cette petite conversation avec vous. Je vous souhaite une excellente fin de journée.
     
    Ce disant, l'inconnu a aussitôt tourné les talons en saluant une dernière fois son interlocuteur d'un soir d'un bref mouvement de chapeau.
     
    Martin a tout de suite remarqué sa canne martelant le sol. Ce détail insignifiant lui avait échappé, étant donné l'inertie passagère de l'inconnu. La moue encore amusée par ses confidences au demeurant des plus singulières, il s'est contenté de lui jeter un dernier regard banal avant de s'attarder une dernière fois sur la toile. Puis, il s'est dirigé nonchalamment vers la sortie à son tour, lorsqu'une étoffe de couleur jonchant le sol attire son attention. Il s'est aussitôt baissé pour s'en emparer. Il s'agit d'un mouchoir fantaisie en mousseline de soie bleue, plié en deux sur la diagonale, de façon à former un triangle. Ce pli en TV ayant l'allure d'une enveloppe fermée devait servir de pochette à son propriétaire. Etant donné la tenue raffinée de son précédent interlocuteur, la pièce d'étoffe peut lui appartenir. Il l'aura malencontreusement laissée choir sur le sol, sitôt après avoir pris congé de leur conversation.
     
    Pressé de lui rendre son bien, Martin a aussitôt accéléré le pas afin de rattraper son propriétaire, le martèlement de sa canne résonnant dans les couloirs du musée. Il n'en est plus qu'à quelques mètres, lorsque sa silhouette disparaît au détour du couloir, au moment même ou le martèlement de sa canne cesse brusquement de se faire entendre. Martin n'a pas tardé à franchir le coude à son tour, s'attendant naturellement à rejoindre l'homme en question. Mais la porte de sortie, qui est maintenant visible, ne lui découvre que l'un des gardiens du musée, visiblement pressé de refermer le lourd portail sur les derniers retardataires.
    Surpris de ne pas se trouver en présence de son précédent interlocuteur, Martin se renseigne aussitôt auprès du surveillant. Ce dernier lui indique qu'aucun visiteur correspondant à la description qui lui en est faite, n'a quitté le musée durant ces derniers instants. L'homme n'a pu s'égarer, le sens de la visite étant fléché et le dernier couloir emprunté menant obligatoirement vers la sortie n'a aucune autre issue. En outre, Martin se rappelle que l'inconnu lui avait confié être un habitué des lieux.
     
    Déconcerté, il a quitté le bâtiment après avoir remercié l'employé. C'est machinalement qu'il a déplié le mouchoir de soie bleutée, sur un coin duquel, et à sa stupéfaction, sont brodées deux initiales : G.M.
     
    * (droits déposés)
     
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