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    Stephan LEWIS
     
     L'Empreinte des dieux 
    Le Livre de Dzyan

               

     CHAPITRE  I
        

          13 Août 1999 ... 21 h 20 ...
       

         Montségur ... Petite bourgade située dans l'Ariège, région Midi-Pyrénées du sud-ouest de la France. Le parc de la villa du professeur Joseph Winter est soudainement sujet à un phénomène des plus insolites ...  Un brouillard flou semble en effet se manifester dans les airs, à une dizaine de mètres au-dessus des imposants massifs fleuris qui se sont mis à frissonner. Un "bang" sonore, faisant songer à un coup de canon, a retenti, faisant trembler un court instant les grandes baies vitrées de la propriété. Une forme discoïdale, d'apparence imprécise et vaporeuse, dont les contours sont encore irréguliers et indistincts, se matérialise peu à peu dans un sifflement strident.
       

         Un disque argenté aux reflets rutilants, d'un diamètre de plus de dix mètres sur trois d'épaisseur, se stabilise progressivement à quelques mètres du sol, avant de se poser sur les pelouses en douceur, presque mollement. 
       

         Un vaisseau galactique de la Patrouille Temporelle des Lunariens vient d'émerger du continuum espace-temps.
       

         Deux hommes se tiennent immobiles, à quelques pas seulement de cette étrange et insolite apparition. 
       

         Le plus âgé, qui frise la soixantaine, a le front partiellement dégarni. Il porte de petites lunettes cerclées d’acier sur le bout du nez et le col de sa chemise est orné d’un nœud papillon des plus volumineux.Il s’agit en l’occurrence du professeur Joseph Winter, éminent archéologue britannique. Il a échangé un sourire complice avec le solide gaillard d’une quarantaine d’années bâti en athlète qui se tient à ses côtés. 
        
         Doté d’un physique élancé, dont les cheveux noirs taillés en courte brosse couronnent un visage énergique aux yeux verts, ce dernier répond au nom de Dany Ballantine. Ingénieur en électronique de son état, il est le compatriote et l’ami inséparable du professeur. Ni l'un ni l'autre ne semblent s'émouvoir de l'incident, paraissant même s'attendre à cette visite au demeurant des plus singulières. 
       

         Le disque repose à présent sur ses trois trépieds. Son centre est bombé et surmonté d’un dôme lumineux garni de hublots. Le sas d'accès a glissé d’un mouvement lent, découvrant la rampe d’un escalier télescopique qui a touché silencieusement le sol. Trois hommes, dont deux sont revêtus d'une combinaison bleue, empruntent les degrés. Le troisième porte une combinaison orangée. Tous ont le sigle TP imprimé sur la poitrine.
       

         Ballantine et Winter se sont aussitôt portés à leur rencontre et un sourire illumine leurs visages.  
       

         - Comment va commandant ? Heureux de vous revoir... lance Ballantine en échangeant une chaleureuse poignée de main avec cet étrange visiteur.
       

         - Hello Dany !... hello professeur !... enchaîne l'homme à la combinaison orange, qui n'est autre que le commandant Boivant, le responsable de la Patrouille Temporelle des Lunariens.
       

         - Nous commencions à nous impatienter... sourit Winter en serrant à son tour et avec empressement la main qui lui est tendue.
       

         - Bien que nous maîtrisions le temps, je n'arrive jamais à être à l'heure...  plaisante le commandant en braquant un curieux instrument en direction de la soucoupe, qui s’est aussitôt effacée du paysage. Placée en état d'invisibilité derrière son écran anti-optique, elle s’est ainsi soustraite à la curiosité des habitants du village, ces derniers n'étant assurément pas habitués à ce genre d'incident. 
       

         Les Lunariens ont aussitôt emboîté le pas aux deux Terriens, pour se diriger vers l'arrière de la villa. Ils ne sont plus qu'à quelques pas de la grande véranda, où deux silhouettes se tiennent discrètementdans l'encadrement de la grandeporte à glissière. Boivant a immédiatement reconnu Alexander, le majordome du professeur, ainsi que Peluche, un robot des plus perfectionnés. Ce dernier ayant l'apparence d'un grand anthropoïde frise les 2 m 50. Il a été confié à Ballantine par les Lunariens, en reconnaissance de la réussite des précédentes missions qu’ils lui avaient confiées. Sa dénomination exacte est Z 24, mais Ballantine l’a affublé de ce sobriquet en raison de sa physionomie.
       

         Alexander s'est avancé pour saluer les Lunariens, dont les visites maintenant fréquentes ne sont plus pour l'émouvoir. Les révélations que lui avaient faites Ballantine et Winter à leur sujet quelques mois plus tôt, l’avaient pourtant laissé pantois. Il lui avait fallu du temps pour admettre cette surprenante réalité. Il sait à présent que la patrouille temporelle vient du futur. De l’an 2210 exactement. Les Lunariens sont originaires de la Terre, du continent américain. Leurs prédécesseurs, choisis parmi les scientifiques les plus éminents par leur gouvernement d'alors, se sont établis dans le plus grand secret sur la face cachée de l'astre lunaire en 2010. Grâce à leurs possibilités à voyager à travers l'espace-temps, la Patrouille a été créée il y a seulement quelques années de leur temps à eux, les Lunariens. Ses membres sont en mesure de remonter le temps et de visiter le passé comme le futur, dans toute la galaxie. Ils ne sont toutefois pas autorisés à intervenir directement sur les faits qui se sont produits ou se produiront. Leurs lois les en interdisent, contrairement à Ballantine et au professeur Winter, qui ne sont pas tenus par ces obligations. C'est la raison pour laquelle la Patrouille a souvent recours à leurs services.
       

         Tous sont bientôt réunis dans la spacieuse bibliothèque du professeur, confortablement installés au creux des grands fauteuils de style anglais, tandis que le majordome se presse de leur servir à boire. Mais le commandant en vient rapidement à la raison de sa présence en ces lieux...
       

         - Bien que je sois ravi de me trouver ici en votre compagnie, ma visite est comme toujours intéressée. Nous avons, une nouvelle fois, un besoin urgent de votre aide… déclare-t-il sur un ton empressé, en donnant une tape amicale sur l’épaule de Ballantine.  
       

         - Nos préoccupations sont en rapport direct avec la fin de votre millénaire… poursuit-il avec une moue d’ennui… Sachez qu’en l'an 2000 de votre ère, l'équilibre économique de votre planète sera mis en péril.
       

         Winter et Ballantine ont échangé des regards circonspects.
       

         - Cette période sera en effet sujette à un immense bouleversement économique et à un krach boursier sans précédent... poursuit Boivant... Une crise mondiale entraînera toutes les nations dans une situation inextricable, qui se soldera par une guerre mondiale. 
       

         - A qui en incombera la responsabilité ?... s'enquiert fébrilement Ballantine.
       

         - A une secte mystérieuse que nous avons réussi à identifier, sans avoir toutefois découvert à ce jour les véritables tenants et aboutissants. Ses membres, conduits par un gourou fanatique du nom de docteur Nam, ont mis sur pied des moyens ahurissants. Mais nous connaissons néanmoins l'objet de leur convoitise, ayant un lien direct avec leur présence dans l'espace... précise Boivant avec un soupir haché.
       

         - Dans l'espace ! Que pourraient-ils aller faire dans l'espace pour que leurs agissements vous inquiètent à ce point et risquent de perturber l'économie mondiale ?... relève le professeur.
       

         - Les moyens colossaux dont disposeront bientôt ces gens n'ont rien à envier, ne serait-ce qu'à la NASA... confie Boivant avec une grimace mal réprimée... L'une de nos patrouilles qui a dernièrement remonté le temps, a pu  observer les agissements de la secte en toute discrétion.
       

         - Qu'ont-ils découvert ?... s’enquiert impatiemment Ballantine.
       

         - Nous sommes à présent assurés qu'ils s'intéressent à la grande ceinture d'astéroïdes. Ce vaste anneau, comme vous le savez, est situé entre les orbites de Mars et de Jupiter, à environ trois cents millions de kilomètres de la Terre.  
       

         - Quelle en est la raison ?... s’en étonne Winter, les sourcils en accents circonflexes.
       

         - La raison en est simple et ma foi judicieuse professeur... indique le commandant... Sachez tout d'abord que cette secte a entre les mains la technologie nécessaire  à la capture de ces astéroïdes. Même à cette distance considérable. 
       

         - Vous insinuez qu'ils auraient l’intention de s'emparer de ces météores !... sourcille Ballantine... Pourquoi accorder une telle importance à ces gros cailloux ?Quel en est l'intérêt ? Et comment se pourrait-il que l'économie mondiale ait à en souffrir à un tel point dans un proche avenir ?   
       

         - Ces gros cailloux représentent en fait une véritable fortune en minerais divers... souligne Winter... A bien des égards, ce sont d'énormes coffres à trésor en orbite autour de la Terre attendant d'être exploités, mais aussi inaccessibles pour l'instant que bien d'autres trésors légendaires.
       

         - Bien vu professeur... acquiesce Boivant en reportant son regard sur Ballantine... Comme vient de vous le préciser si justement votre ami, ces gens visent en fait l'exploitation des ressources minières du système solaire.
       

         - Du système solaire!... s'effare Ballantine... Et vous pensez qu'ils seraient actuellement en mesure d'y parvenir ?
       

         - Il n'y a rien d'extraordinaire à cela Dany… indique Winter… N'oublions pas que la sonde spatiale Pioneer 10 lancée à la fin des années 70, a déjà dépassé les frontières de notre système planétaire. Il est même d'ores et déjà prévu d'envoyer des astronautes sur Mars d'ici à une vingtaine d'années.
       

         - Vous avez une nouvelle fois raison professeur... sourit le commandant... Mais ce que visent en fait ces gens dans un premier temps, c'est la capture de 1986 DA, un astéroïde au nom un peu barbare d'une dizaine de kilomètres de diamètre.
       

         - A ce propos, il a été dit que ce cher 1986 DA à la forme patatoïde contiendrait du minerai en grande quantité... souligne Winter en allumant le brûle-gueule qu'il vient de préparer et dont il tire deux ou trois bouffées furtives avec une évidente satisfaction.
       

         - Il recèlerait entre autres 500 tonnes de platine, 600 tonnes d'or, et tenez-vous bien, à peu près 1000 millions de tonnes de nickel... complète le commandant.
       

         - Aux cours actuels et si je ne m’abuse, cette masse d'or à elle seule atteindrait le montant faramineux de … voyons … 65 milliards de dollars !... souligne Ballantine avec une moue ébahie après un calcul rapide.  
       

         - Et le nickel ne pèserait pas moins de 500 milliards de ces mêmes dollars... complète Boivant.
       

         - Un loto spatial à la cagnotte plus que coquette... relève Ballantine... Mais quelle méthode ces gens comptent-ils employer ?
       

         - Ils vont s'y prendre d'une manière des plus habiles... indique le commandant... Grâce aux moyens dont ils disposent pour parcourir en un temps record des distances démesurées, ils vont faire débarquer un équipage réduit sur 1986 DA. Ensuite, ils s'emploieront à fixer des petites fusées sur le météore en question. Puis, moyennant des mises à feu savamment ajustées, ils le dirigeront enfin vers une destination proche de la Terre. D'ailleurs, je vous rappelle qu'une pareille technique fut utilisée pour la manœuvre du vaisseau spatial Apollo. Elle est encore employée de vos jours pour les vols de la navette spatiale. De plus, la tâche est facilitée par l'absence d'atmosphère et donc de friction dans l'espace. Une fois l'astéroïde lancé dans le grand vide interstellaire, il ne changera plus de direction et plus rien alors ne pourra arrêter sa course. Ou tout du moins tant qu'aucune autre force ne lui aura été opposée.
       

         - Vous dites qu'ils dirigeront cet astéroïde vers une destination proche de la Terre… réalise Ballantine…Ils auraient donc une base spatiale à leur disposition !...  imagine-t-il aussitôt, sourcils froncés.
       

         - En effet ... confirme Boivant... Cette station orbitale géante qu'ils ont baptisée Bêta 33, héberge déjà plusieurs centaines de leurs fanatiques qu'ils ravitaillent à l'aide de navettes.
       

         - Mais … observe Ballantine, la mine réfléchie… même si ces gens disposent d'une telle technologie, et si cet astéroïde se trouve à plus de trois cents millions de kilomètres de la Terre, comment pourraient-ils le récupérer dans leur base spatiale aussi rapidement, en n'utilisant que des fusées ?
       

         - Ils le peuvent. Vous pouvez m’en croire. Comme je vous l'indiquais il y a un instant, ils sont en mesure de se déplacer à des vitesses fantastiques à travers l'espace. Ils peuvent couvrir, en un temps record, des distances considérables.
       

         - Nous ne doutons pas un seul instant de vos affirmations... légitime aussitôt Winter...  Ce que Dany veut certainement dire, c'est que si 1986 DA est uniquement équipé de fusées de guidage, il est certain qu'il ne pourra  pas couvrir une telle distance en moins de plusieurs années !
       

         - J'allais y venir professeur... se presse d’indiquer Boivant... En fait, ils déplaceront 1986 DA en utilisant le même procédé que pour les déplacements de leurs vaisseaux. 
      

         Le commandant a immédiatement remarqué les mines interloquées de ses deux amis.
      

         - Un voyage vers l'étoile la plus proche de votre Terre en se déplaçant dans la Voie Lactée, prendrait en effet plusieurs années à un vaisseau qui se déplacerait même à la vitesse de la lumière. Soit pour être précis, 1000 millions de kilomètres à l'heure... précise-t-il ... Dans ces conditions, et même pour la secte du docteur Nam, je vous concède que ramener 1986 DA en moins de plusieurs années s'avérerait totalement inconcevable. En outre, cette secte est certainement encore très loin d'être en mesure de concevoir, puis de pouvoir fabriquer et enfin d'utiliser un moteur capable de les propulser à la vitesse de la lumière.
       

         - Mais alors, comment comptent-ils s'y prendre ?... s’étonne Ballantine.
       

         - Ils emprunteront tout simplement des raccourcis, comme ils le font déjà avec leurs astronefs... indique Boivant le plus naturellement du monde, s'attendant naturellement à une réaction des plus justifiées de la part des deux autres.
       

         - Ils voyagent comme vous dans le temps... soupçonne aussitôt Winter.
       

         - C'est à peu près la méthode qu'ils utilisent. Mais ils ne maîtrisent pas comme nous, les Lunariens, le temps comme vous pourriez l'imaginer… nuance Boivant… En fait, ils ne font qu'en raccourcir la durée en empruntant pour ce faire un passage privé de temps, reliant deux régions différentes de l'univers.  
       

         - Ne me dites pas qu'ils auraient réussi à mettre en pratique la théorie du pont "Einstein-Rosen" !... anticipe déjà Ballantine, les sourcils en accents circonflexes.
       

         - Dans le mille Dany... acquiesce Boivant en souriant... Ils utilisent en effet ce qu'on appelle « un trou noir ». Comme vous le savez, ce pont "Einstein-Rosen", en théorie, est une véritable machine à remonter le temps. Figurez-vous qu’ils ont réussi à passer de ce concept abstrait à la pratique.
       

         - Mais ... le « trou noir » le plus proche, d'après les astronomes, se trouverait dans la constellation du Cygne ! A 6000 années-lumière de la Terre ! Soit à plus de 58 milliards de kilomètres !...  souligne Winter, pour le moins aussi sceptique qu'interloqué.
       

         - A priori vous allez certainement prétendre qu'il est impensable que l'on puisse concevoir de franchir une telle distance en si peu de temps, et vous auriez parfaitement raison professeur...concède Boivant.
       

         - Mais alors !... le prie Ballantine, parvenant difficilement à contenir son impatience.
       

         - Vous n'ignorez pas, l'un comme l'autre, que lors de la mort d'une étoile, son noyau central implose. Il s'effondre brutalement sur lui-même. L'implosion s'arrête lorsque le résidu n'a plus qu'environ un mile de diamètre (soit approximativement 1600 m). Mais la densité de ce résidu est extrême. Des milliards de tonnes par centimètre cube. La masse de cent paquebots comme le Norway dans un grain de riz. La matière qui s'approche des trous noirs s'y engouffre inexorablement, du fait de la force de gravité invraisemblable qui y règne pour disparaître, littéralement projetée hors du temps et de l'espace. C'est ce que l'on pourrait qualifier de tunnel inter dimensionnel de communication de l'espace-temps, tournant sur son axe comme une toupie. Une véritable Porte des Etoiles, comme l'ont d'ailleurs baptisé ces fanatiques, et qui leur permet d'accéder à des régions fort éloignées de notre univers. C'est donc en quelque sorte un raccourci, reliant entre elles des failles dans l'espace-temps, grâce auxquelles il est possible de voyager à des vitesses dépassant la célérité de la lumière.

        Pour l'exemple, un objet qui disparaîtrait dans un trou noir, ressortirait instantanément dans une autre région de l'Univers. Même distante de plusieurs milliards de kilomètres. Mais le problème qui se poserait, serait bien évidemment celui de trouver la solution, afin de pouvoir atteindre le trou le plus proche en un minimum de temps. Or, ce docteur Nam a la réponse à cette question... indique Boivant... Il a pour cela réussi à construire un trou noir artificiel proche de sa base orbitale. A moins de 30.000 km de celle-ci, pour être précis. Nous tenons ces renseignements de la patrouille qui s'y est engagée discrètement à la suite d'un de leurs vaisseaux et qui a bien failli ne pas en revenir.
       

         - Incroyable !... souffle le professeur en rajustant machinalement ses binocles sur le bout de son nez.
       

         - Il est évident qu'en utilisant un pareil procédé, cela réduit fantastiquement les distances... murmure pensivement Ballantine.
       

         - Je dirais même que, dans ce cas,  le mot distance perd toute sa signification... souligne le commandant... En franchissant un trou noir, on se déplace en avant dans l'espace pour reculer simultanément dans le temps. Le voyage est alors instantané.
       

         - Construire des trous noirs pour forcer l'entrée d'autres univers a toujours été l'un des plus formidables défis des années à venir… fantasme Ballantine, le regard absent… Ce projet fou, s’il se concrétisait un jour, assurerait à l'humanité la possibilité réelle de pouvoir voyager dans l'espace et de conquérir d'autres horizons... puis, semblant soudainement perplexe, sa formation d'ingénieur en électronique reprenant le dessus, d’ajouter avec une moue dubitative ... Il est pourtant affirmé que la construction d'un trou noir nécessiterait beaucoup plus d'énergie qu'aucune société humaine ne pourra jamais en produire à l'heure actuelle, y compris je pense ce docteur Nam commandant ! Comment ces gens comptent-ils s’y prendre pour réunir un tel potentiel ?   
       

         - Comme je viens de vous le dire, ils ont résolu le problème. La solution a été mise en pratique depuis leur première base d'opération dont nous venons d’avoir connaissance. L'une de nos patrouilles l’a repérée il y a moins de deux semaines.  
      

         - Depuis leur première base ?… s’effare une nouvelle fois Ballantine, imité en cela par le professeur… Ils auraient donc une seconde base dans l'espace à leur disposition !
       

         - En fait, Bêta 33 comme je vous l'ai précisé, est une base orbitale ; tandis que la seconde, qu'ils désignent sous le nom d'Alpha 30, n'a pas été construite dans l'espace. D'après ce que nous en savons, elle se trouverait sur une mini planète de forme sphérique répertoriée par vos astronomes sous le nom de Ceres.
       

         Devant les regards ébahis des deux hommes, le commandant poursuit …
        

         - Cette mini-planète que vos astronomes ont donc baptisée Ceres, située entre Mars et Jupiter, fait justement partie de ce cordon d'astéroïdes en question. Ainsi, parmi cette ceinture de météores existe un anneau de minuscules planètes à laquelle appartient Ceres. Parmi ces quelques dizaines de fragments qui composent la ceinture, certains ont des tailles qui varient de quelques kilomètres comme 1986 DA, à plusieurs centaines de kilomètres comme la planète en question, qui a en outre un diamètre de 700 km. Elle abrite la base Alpha 30 à partir de laquelle sont organisés des va-et-vient vers leur seconde base orbitale Bêta 33 en un temps record, justement via leur trou noir artificiel, qui les relie en permanence. Le docteur Nam a utilisé la poussière cosmique, que l'on sait essentiellement composée de particules de fer et de nickel de certains de ces fragments orbitaux. Ils lui ont servi  en quelque sorte de ramjets magnétiques. D'aspirateurs spatiaux si vous préférez. Ces engins ont assurément fait office de bulldozer pour la construction de cette Porte des Etoiles.
       

         - Il a donc imaginé le fait de dérober de l'énergie naturelle en utilisant la matière interstellaire pour en assurer la construction... réalise Ballantine, bien malgré lui en proie à l'admiration la plus totale envers ce mystérieux docteur Nam.

       
         - Exactement Dany … Et ce qui est surprenant ... complète le commandant... c'est qu'il ait réussi à le faire en un laps de temps très court. Jusqu'à ces jours derniers, nos patrouilles n'avaient pas encore décelé l'existence de cette secte dans l'espace. Je dois toutefois reconnaître que quelque chose nous échappe dans cette affaire.   
       

         - Et où en sont-ils à l'heure actuelle ?... s'enquiert encore Ballantine, le mentonpris entre le pouce et l’index.
       

         - En les situant dans votre présent, ils viennent de terminer l'aménagement de  Bêta 33. C'est la raison pour laquelle il nous faut intervenir sans tarder. Ou plutôt, qu'il va vous  falloir intervenir Dany... rectifie le commandant avec une moue d'embarras...  Notre patrouille, en remontant le futur, nous a confirmé que dans moins de trente jours de votre temps, ils réussiront à ramener 1986 DA vers leur station orbitale. En poussant plus en avant leurs investigations dans votre avenir, la patrouille a précisé que l'économie mondiale connaîtrait ses premières difficultés avant la fin du millenium. Car cette secte n'en restera pas là. Elle s'emparera par la suite d'astéroïdes de plus en plus importants.
       

         Il va sans dire que nous, les Lunariens, étant originaires de la Terre, souhaitons la préserver d'un gigantesque krach boursier et d’une faillite mondiale catastrophique sans précédent qui s'en suivrait. En outre, je ne vous cacherai pas plus longtemps que notre nouvelle nation est elle-même concernée et menacée dans votre futur. N'oubliez pas que nos ancêtres terriens ne coloniseront la Lune qu'en 2010, et cela dans le plus grand secret, en y expédiant plusieurs de leurs hommes de science triés sur le volet (la Citadelle de Barka - de S.Lewis). Mais si nous ne tentions pas d'endiguer cette menace, notre existence serait une nouvelle fois remise en cause.  

       
         - Evidemment... réalise Ballantine... Je présume que suite à une faillite interplanétaire, vos ancêtres ne pourraient plus alors disposer des crédits nécessaires à leur conquête de l'astre lunaire.
       
         - Tout à fait Dany ... Et les Lunariens n'existeraient donc pas aujourd'hui. Ce qui signifie que la Patrouille Temporelle ne verrait donc jamais le jour... soupire Boivant, la mine préoccupée.
       
         - Leur manège ne peut pourtant pas passer inaperçu !... souligne Winter en rajustant une nouvelle fois ses petites lunettes.
       
         - Détrompez-vous professeur !... objecte Boivant ... Je vous disais que leur technologie n'avait rien à envier à la NASA et pour cause !… Leur base spatiale sera opérationnelle d'ici quelques jours et les stations radars de votre planète n'ont toujours pas détecté sa présence dans l'espace. C'est donc en toute impunité et sans crainte de la moindre menace que cette secte va pouvoir agir à sa guise.
       
         - Quelle sera notre mission commandant ?... anticipe déjà Ballantine en se passant une main ouverte dans sa courte brosse.  
        
         - J'allais justement y venir Dany, car nous savions comme toujours pouvoir compter sur votre aide et sur celle du professeur... sourit Boivant, l'esprit certainement soulagé... Comme vous vous en doutez, les autorités terriennes ne doivent en aucun cas avoir vent de tout cela. Elles ignorent toujours notre existence et seraient de toute manière dans la totale incapacité de contrecarrer les plans et les projets du docteur Nam. Mais en ce qui nous concerne, nous devons et pouvons agir. Nos vaisseaux sont allés en mission de contrôle dans le futur et si nous n'intervenions pas, les marchés boursiers seraient, dans un avenir très proche, inondés de contre-valeurs en minerais les plus précieux. Cette situation incontrôlable ferait du même coup chuter, puis s'effondrer les cours. Les plus grands consortiums monétaires internationaux de la planète seraient vite mis en difficulté, voire même en faillite, provoquant de cause à effet une banqueroute de la Banque Mondiale.
       
         - Qui est exactement ce docteur Nam et qu'aura-t-il à gagner dans tout cela ?..  s’enquiert encore Ballantine.
      
         Boivant semble embarrassé. Il remue la tête avec un évident soupçon de contrariété.
       
         - C'est là le hic Dany. Mis à part le nom que je vous ai donné, nous ne possédons malheureusement aucune indication. Nous manquons de renseignements complémentaires sur cet énigmatique personnage. Malgré tous ses efforts, la patrouille n'a pu en apprendre davantage … Nous comptons sur vous pour nous renseigner à ce sujet… ajoute-t-il timidement, la mine défaite, après avoir marqué un bref instant d'hésitation.
       
         - Bon … Comment allons-nous devoir procéder ?… enchaîne Ballantine sans plus insister, avec une moue de perplexité, tandis que Winter tente vainement de rallumer sa pipe, tout en continuant de suivre la conversation.
       
         La pilule semblant être avalée, le commandant semble subitement plus détendu et beaucoup plus à l'aise. Aussi se presse-t-il d'entrer dans le vif du sujet, visiblement soulagé...
       
         - Cette secte dangereuse et surarmée a son refuge au Népal. Dans la vallée de Lang Tang. Au sud de l'Himalaya, pourêtre  précis. Mais c'est en fait une véritable citadelle.
       
         - Si j'ai bien saisi, il ne nous reste qu'à mettre une expédition sur pied... anticipe Ballantine.
        
         D'un geste qui se veut rassurant, Boivant l'a aussitôt interrompu. 
        
         - Ce ne sera pas nécessaire Dany, car vous perdriez du temps. D'ailleurs, ni vous ni le professeur n'êtes entraînés à faire de l'alpinisme. En outre, il vous faudrait nécessairement vous assurer les services d'un guide. Or, vous vous doutez que cette perspective est irréalisable. Personne ne doit être mis dans la confidence.
       
         - Il me reste à parier que vous allez encore nous confier l'un de vos taxis !... présume Ballantine avec un sourire en coin.
       
         - Il vous sera en effet plus aisé de vous rendre à cet endroit avec l’aide d’un vaisseau... acquiesce le commandant en vidant son verre de cognac d'un trait, imité en cela par les deux hommes qui l'accompagnent. 
       
         L'un d'eux vient d’ouvrir une serviette de cuir. Il en extirpe plusieurs documents barrés d’un coup de tampon à l’encre rouge, les taxant de confidentialité, et qu'il remet aussitôt à son supérieur.
       
         - Ce sont des photos aériennes... indique ce dernier en les soumettant à Ballantine et Winter... Elles ont été prises hier. Voici l'endroit exact où se situe la base du docteur Nam... mentionne-t-il en posant son index sur l'une d'elles, où est porté un repère signalant une zone inférieure du versant méridional de la chaîne montagneuse… C’est une véritable forteresse qui s’étend profondément sous terre… signale-t-il encore.
       
         Après avoir examiné les prises de vues aériennes photographiées sous des angles différents, mais portant toutes le point trigonométrique XV à un endroit bien précis, les deux intéressés semblent perplexes. Boivant a immédiatement remarqué leur mine indécise.
       
         - Vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que leur base soit repérable du ciel ! Il est évident qu'ils l'ont camouflée de telle sorte qu'elle passe totalement inaperçue... ajoute-t-il en affichant un air surpris.
       
         - Ce n'est pas là le problème commandant... nuance Ballantine en esquissant un sourire de complaisance... Mais ... Comment allons-nous pénétrer dans les lieux ?
       
         - Je m’attendais à cette question. Soyez rassurés. La patrouille qui alocalisé la base a réussi à leur subtiliser une télécommande permettant l'ouverture d'une entrée secondaire située à cet endroit... et Boivant de leur indiquer en même temps un cercle rouge tracé sur les photos, tandis que l'un des Lunariens leur remet un petit boîtier de métal noir.
       
         - Voici la télécommande en question… indique Boivant… Lorsque vous serez rendus sur place, il vous suffira de presser ce contacteur et une ouverture se dévoilera dans la roche.
       
         - Une fois que nous serons à l'intérieur, en quoi consistera exactement notre mission ?... s'enquiert à présent Ballantine, la mine réfléchie, tandis que le professeur s'est saisi de l’instrument pour le déposer sur le grand bureau de la bibliothèque.
       
         - Elle consistera à vous emparer du docteur Nam. Nous supposons qu'il y demeure en permanence... déclare Boivant d'un ton plutôt mal assuré et d'autant moins convaincant.
       
         - Et si par manque de chance il ne s'y trouvait pas !... appréhende Ballantine, qui a tout de suite remarqué le ton hésitant du commandant.
       
         - D'après les rapports de la patrouille qui a surveillé et espionné les lieux, il ne quitterait jamais son poste. Mais je ne puis hélas vous en apporter une preuve formelle et vous en donner l'assurance... avoue-t-il d'un air navré et embarrassé.
       
         - Bon ... Et vous n'avez bien entendu aucune idée de ce à quoi ressemble ce personnage ?... risque encore Ballantine.
       
         Boivant s’est contenté de remuer la tête de droite et de gauche, en une attitude accroissant son embarras.
       
         - Maintenant et si vous êtes toujours d'accord, malgré le peu de renseignements que nous ayons en notre possession, nous vous enverrons un vaisseau en pénétration automatique dès demain matin à 6 heures précises. Espérons que cette fois encore vous réussirez dans votre mission.
      
         Puis, après s’être confondu en remerciements, le commandant a aussitôt pris congé de ses partenaires.
     
     
     
                                                      CHAPITRE  II
     
      
         Montségur ... Le lendemain … 5 h 45 du matin ...
      
        Le soleil inonde déjà de ses rayons bienfaisants l'immense parc de la villa. Ballantine et Winter, revêtus de la tenue bleue des voyageurs du temps, surveillent les environs d’un œil impatient. Ils attendent la matérialisation du vaisseau annoncé par le commandant Boivant, qui devrait maintenant émerger de l'espace-temps d'un instant à l'autre. Z 24 se tient à leurs côtés, faisant comme toujours partie de l'expédition. Sa présence leur sera certainement encore d'un grand secours, voire même indispensable.
       
         - Ce ne sera pas du gâteau... murmure nonchalamment Ballantine en promenant un regard distrait aux alentours.
       
         - En supposant que nous ne nous fassions pas repérer une fois à l'intérieur de la base, je me demande comment nous allons procéder… marmonne Winter… Nous n'avons aucune idée de ce à quoi ressemble ce docteur Nam. Et à savoir si nous pourrons le kidnapper au nez et à la barbe de ses sbires... poursuit-il sur le même ton, semblant envisager avec un certain scepticisme le déroulement de leur future expédition. 
       
         Mais l'androïde vient de les interrompre. Il leur désigne un brouillard flou qui se manifeste à une dizaine de mètres dans les airs, tandis que retentit le "bang" caractéristique du brusque transfert de dimension temporelle. Un disque métallisé, semblable à celui de la veille, finit par se matérialiser au milieu d’un sifflement strident, avant de se poser délicatement sur les pelouses du parc. 
       
         Le sas d’entrée s’est ouvert automatiquement, invitant les trois passagers à embarquer.
       
         L'intérieur de l’engin, où d'immenses cylindres à l'aspect nickelés ronronnent, est percé de larges hublots et éclairé par électroluminescence d'une douce lueur bleutée. Ballantine, dont le pilotage n’a maintenant plus aucun secret pour lui, s'est aussitôt installé aux commandes. D’un œil averti, il passe en revue les principales fonctions du pupitre de l'énorme tabulateur de l'ordinateur central. Le tableau, extrêmement complexe, étincelle de tous ses cadrans et boutons lumineux. Il est surmonté d'une succession d'écrans en verre dépoli légèrement bombés.  
       
         Ses compagnons se sont sanglés sur les sièges coquilles pivotants, d’un confort poussé à l’extrême. Ils ont eu le soin de boucler leur harnais à connexion magnétique qui s’est réglé automatiquement à leur taille. L’androïde fait face au gigantesque écran panoramique de contrôle visuel et de visibilité extérieure du télévisionneur tridimensionnel qui vient de s'illuminer dans un relief saisissant. Il procède aux réglages du pupitre auxiliaire qui abrite les organes de transmission de la console ondionique du transmetteur temporel. Le professeur quant à lui gardera un œil sur les écrans violets des sidéroradars.  
       
         Le curseur des commandes de translations temporelles du tempomètre qui programme l'époque de résurgence choisie a été positionné sur le présent. Les boutons crantés du compteur temporel affichent la date et l'heure à laquelle ils vont quitter Montségur. Le computer de l'ordinateur directionnel a enregistré et programmé les coordonnées du point choisi, avant de calculer l'angle d'émergence avec toute la précision souhaitable. 
       
         Ballantine a lancé la procédure de décollage … Les quatre réacteurs nucléaires qui utilisent la fantastique énergie dégagée par la fusion thermonucléaire ont immédiatement répondu à son attente. Un ronronnement sourd, qui va en s'amplifiant vers les aigus, emplit soudainement l'air. Le mastodonte métallique s'élève majestueusement à la verticale, telle une plume portée par le vent, soutenu par ses générateurs gravitomagnétiques tout en rentrant doucement son train d'atterrissage. Puis, il se redresse progressivement pour prendre la tangente. 
       
         L’espace environnant s’est subitement mis à onduler,  puis à trembloter, perdant peu à peu de son relief, jusqu'à devenir complètement flou. Tout le voisinage finit par s'estomper, tandis que l’engin augmente graduellement sa vitesse ascensionnelle. Le claquement sec du "bang" de dématérialisation a retenti, le soustrayant instantanément à la vue d'un éventuel observateur.
       
         Au terme de quelques secondes, et tandis que résonne pour la seconde fois le craquement caractéristique du changement de dimension temporelle, tout est redevenu parfaitement net et calme aux alentours. Le vaisseau s'est rematérialisé en plein ciel au-dessus de l'Himalaya, la plus grandiose de toutes les chaînes montagneuses.
       
         La soucoupe survole maintenant à basse altitude le point trigonométrique XV, dissimulée derrière son écran d’invisibilité. Le dispositif anti-optique a été activé, afin  d’éviter son repérage par les radars du docteur Nam.
       
         Après quelques passages de plus en plus rapprochés, Ballantine a immobilisé le vaisseau en sustentation dans les airs, à moins de trois cents mètres d'altitude au-dessus du lieu de repérage. Les puissantes caméras vidéo sont aussitôt entrées en action. La vallée de Lang Tang qui serpente à travers la chaîne montagneuse s'étend à présent sous leurs yeux. Cette étrange contrée est enserrée entre la jungle tropicale et des cimes de 8000 mètres. C'est un énorme plan incliné de 800 km de long qui descend des sommets de l'Himalaya vers la plaine indienne. Des forêts épaisses en couvrent les pentes, tandis que plus haut poussent seulement des arbustes et plus haut encore, des lichens et des mousses.
       
         L'entrée de la base du docteur Nam est censée se trouver dans une cavité qui s'enfonce à flanc de montagne. Aussi, les deux hommes, tout en poursuivant leur conversation, ne perdent-ils pas de vue l'écran vidéo qui leur renvoie l'image du point trigonométrique XV.
      
        22 h 20 ...
      
        Ils  menacent de perdre patience. Malgré une attention soutenue de tous les instants, l'endroit est resté désert. Aucune présence ne s'est encore manifestée, lorsque Z 24  attire brusquement leur attention...
       
         - Les détecteurs nous signalent un objet volant en approche... signale-t-il de sa voix froide et métallique, ne reflétant pas la moindre émotion.
       
         Ballantine a bondi et le professeur a failli s'étrangler avec la cuisse de poulet qu'il grignotait ... Le balayage continu du radar révèle bientôt un point lumineux qui, progressivement, semble perdre de l'altitude.
       
         - L'objet sera visible dans moins d'une minute… indique l’androïde… Il semble se diriger dans notre direction...  précise-t-il encore.
       
         Winter, après s’être tamponné les lèvres du revers de la main, a rejoint son ami qui se tient à présent près des hublots, occupé à scruter le ciel avec insistance.

       
         Au terme de quelques secondes de patience, ils distinguent un point lumineux grossissant rapidement et à présent devenu perceptible à l'œil nu. Il se rapproche à grande vitesse de l'endroit où leur vaisseau est immobilisé en état d'invisibilité. Mais leur attention a été attirée par le flanc de la montagne qui est en train de basculer, démasquant une ouverture circulaire d'une trentaine de mètres de diamètre dans la roche.
       

         Un bruit de réacteurs est maintenant audible et le point lumineux qui s'est encore rapproché, freinant progressivement sa vitesse, se révèle bientôt être une navette spatiale. Avec un vrombissement assourdissant, elle s'est engouffrée dans le passage  qui s’est aussitôt refermé derrière elle.
       

         Les deux hommes, ébahis, ont échangé des regards empreints de stupéfaction.
       

         - Le commandant avait donc raison... balbutie ce dernier d'une voix chevrotante.
       

         - Ne me dites pas que vous en doutiez professeur !... ironise Ballantine, en adoptant volontairement un ton de reproche.
       

         - Non, mais ... maintenant nous sommes au moins assurés qu'il y a effectivement à cet endroit des agissements pour le moins suspects... se reprend timidement Winter.
       

         - Bon ... Je crois qu'il est temps que nous nous préparions... estime Ballantine en reprenant sa place aux commandes de la soucoupe... Nous allons rendre une petite visite de courtoisie à ce docteur Nam. Nous laisserons le vaisseau sous la protection de son dispositif anti-optique derrière les premiers arbres de la forêt.

        
         La jungle tropicale est en effet visible à moins de deux kilomètres de l'endroit où est établie la base. Le vaisseau a tôt fait de se poser sous le couvert de la végétation. Après s'être armés de leurs pistolets atomiques, les deux hommes, renforcés par la présence de Z 24, se dirigent vers le refuge du docteur Nam. L’androïde les précède, car l'obscurité a fait son apparition. Le robot s'oriente sans la moindre difficulté grâce aux infrarouges dont il est pourvu. Ballantine a entre les mains le boîtier de commande qui déclenchera l'ouverture d'une porte secondaire, mais dont ils ne connaissent toutefois pas l'exacte localisation.
       

         Ils marchent depuis moins d'une dizaine de minutes, lorsque l'androïde, d'un geste de la main, leur signifie de stopper leur progression. Pourvu d'un système de vision nocturne ultra perfectionné, il a sans aucun doute détecté une présence suspecte. Aussi se sont-ils accroupis dans les hautes herbes, tandis que des bruits de moteurs, cependant encore éloignés,  leur parviennent.    
       

         Au terme de quelques secondes de réflexion, ils décident de se rapprocher en se faufilant silencieusement.
        

         Grâce au clair de lune, ils distinguent à présent plusieurs formes mouvantes qui, de toute évidence, sont des silhouettes humaines. Elles se tiennent à une vingtaine de mètres de l'endroit où a pénétré la navette. Elles portent un uniforme argenté et leurs visages sont masqués. Quelques-unes d'entre elles sont armées. Toutes paraissent agitées, échangeant de temps à autre quelques brèves paroles dans un langage inconnu, tandis que les bruits de moteurs semblent s'éloigner. Les deux hommes et l’androïde distinguent toutefois le reflet des projecteurs dont les véhicules sont équipés et qui sont en action.
       

         - Ces individus appartiennent sans aucun doute à la secte en question... murmure Winter... Mais pour quelle raison portent-ils un masque ?
        

         - A moins qu'il ne s'agisse tout simplement de touristes en habit de carnaval... raille Ballantine.
       

         Tapis dans les fourrés à moins d'une vingtaine de mètres, ils remarquent que l'entrée de la base par laquelle s’est engoufrée la navette est de nouveau libre d’accès.
       

         - Je serais prêt à parier qu'ils sont à la poursuite de quelqu'un ou de quelque chose... chuchote Ballantine.
       

         - Pourvu qu'ils n'en aient pas après nous !... appréhende déjà Winter.
       

         - Cela m’étonnerait professeur ... Voyez par vous-même … Ils se dirigent dans la direction opposée. 
       

          - Après qui peuvent-ils bien en avoir ?
       

         - A en juger par l'agitation dont font preuve ces gens, il se passe apparemment quelque chose d'anormal dans le secteur... présume ballantine.
        

         Un effrayant rugissement vient de retentir, les faisant sursauter et mettant du même coup un terme à leurs propos. Presque aussitôt, plusieurs coups de feu répercutés par l'écho répondent au sinistre cri, tandis que les silhouettes restées jusque là en faction devant l'entrée du tunnel se sont précipitées.
       

         - Vous avez entendu ?... balbutie Winter.  
       

         - Cela n'a rien d'humain... relève Z 24 d'une voix calme et tranquille.
        

         - Toujours est-il que nous sommes au moins assurés que ces individus en ont après cette chose... souligne Ballantine... L'accès à la base est ouvert, profitons-en !... se presse-t-il d'ajouter.       
       

         Ils se sont aussitôt approchés du long tunnel au diamètre impressionnant, dont les parois vitrifiées semblables à du verre poli ont été taillées à même le roc. Des spots fixés de part et d’autre des parois y diffusent une clarté laiteuse. Un second couloir aux dimensions beaucoup plus modestes, est séparé du premier tronçon qu'ils viennent d'emprunter par un mur de roche aménagé en parallèle. Ce dégagement assure certainement les va-et-vient de véhicules, tandis que le grand tunnel n'est assurément utilisé que pour le passage des navettes spatiales, comme ils ont pu le constater.  
       

         - Si nous nous aventurons là-dedans, nous risquons de nous retrouver nez à nez avec une patrouille ou d'être pris en sandwich... souffle Winter en désignant le corridor secondaire.
       

         - Nous allons continuer dans le tunnel réservé aux navettes... rétorque Ballantine en invitant ses compagnons à obtempérer.  
        

         - Le danger n'en sera pas moins conséquent... se presse de signaler l'androïde... Nous risquons d'être carbonisés si le passage est emprunté par un vaisseau une fois que nous serons à l'intérieur.  
       

         - Nous n'avons guère le choix. Il faut en prendre le risque... insiste Ballantine, en dépit dela mise en garde adressée par Z 24.
        

         Son obstination à préférer la voie des navettes semble néanmoins lui donner raison …  Les véhicules aperçus précédemment regagnent la base, les bruits de moteurs se faisant de plus en plus audibles.   
       

         - Les voilà qui rappliquent !... grimace-t-il en marquant un temps d’arrêt… Vite, dans le tunnel ! Espérons qu'ils ne nous apercevront pas !
        

         C'est au pas de course qu'ils se risquent à l’intérieur du gigantesque passage, à l’instant où le premier véhicule de la secte se présente à l'entrée du couloir. 
       

         Le boyau qu'ils ont emprunté s'enfonce en pente douce. Au terme d'une progression d'une vingtaine de minutes et tandis que l'allure n'a pas été ralentie, ils distinguent bientôt une source lumineuse différente.
       

         - Je crois que nous y sommes... murmure Ballantine, le dos plaqué contre la paroi rocheuse.
        

         C’est avec circonspection qu’ils atteignent l’extrémité du tunnel.
        

         Une quinzaine de navettes spatiales sont parquées dans une gigantesque salle aux murs recouverts de plaques de métal, à travers laquelle règne une luminosité plutôt agréable.
       

         - Le commandant ne s'est pas trompé. Cette secte dispose de moyens considérables et inimaginables !... s’effare le professeur, les sourcils en accents circonflexes, osant à peine remuer les lèvres.
       

         - Et nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises !... présume Ballantine avec une moue circonstancielle.
       

         Ils ont traversé la salle à pas de loup, se glissant furtivement entre les astronefs. Plusieurs cabines d'ascenseurs sont maintenant visibles, ainsi que d'innombrables portes vitrées, dissimulant  des escaliers qui semblent plonger dans les entrailles de la terre.
       

         - Il faut y aller, nous n'avons guère le choix... soupire Ballantine en se dirigeant vers l'une des portes qui s'est ouverte automatiquement à son approche.
       

         Pistolet en main, il entraîne aussitôt ses compagnons vers une destination pour le moins dangereuse et inconnue.      
        

         L'escalier s'enfonce en colimaçon. Plusieurs minutes leur auront été nécessaires avant qu'ils ne se retrouvent face à une lourde porte blindée. C'est lagorge serrée par l'angoisse que Ballantine en pousse précautionneusement le battant …
       

         L’huis s’est entrebâillé silencieusement sur un immense local aux dimensions hors normes, à l’intérieur duquel ronronnent une multitude d'ordinateurs. Ils sont à n’en pas douter à l’intérieur du centre de contrôle de la base. Malgré l'heure tardive, une animation singulière règne dans les lieux. Plusieurs dizaines de personnes en blouse blanche s'affairent çà et là. D'autres sont installées devant leurs pupitres, l’œil rivé sur des cadrans, des manettes, des volants, ou des moniteurs video. Une estrade centrale domine les lieux, sur laquelle se tiennent d'autres techniciens, affairés eux aussi devant des écrans ronds et plus importants. Des enceintes acoustiques installées en divers endroits diffusent en permanence des informations dans un dialecte inconnu.
       

         - C'est étrange... souffle le professeur qui a tendu l'oreille... Je peux vous assurer qu'aucune nation à ma connaissance n'emploie ce type de langage.
       

         Les phrases égrenées par les haut-parleurs ne comportent curieusement aucun son sonore. Elles sont écrasées, voire étouffées. Même quasi inaudibles pour un individu jouissant pourtant parfaitement de ses qualités auditives. Aucun peuple de la Terre n'est en effet censé utiliser cette étrange phonétique, bien que les personnes présentes semblent posséder toutes les caractéristiques du genre humain. Chose plus curieuse encore, tous ces gens paraissent saisir parfaitement le sens des messages diffusés par les baffles.
       

         - Il me semble que c'est ce même dialecte qu'employaient les êtres masqués que nous avons surpris devant l'entrée de la base... souligne Ballantine.
       

         - A n'en pas douter… confirme Winter… Vous pouvez m'en croire. On ne saurait s'y tromper. J'avais déjà constaté cette étrange particularité de la phonétique utilisée par ces individus tout à l'heure. Mais je ne peux hélas en déduire quoi que ce soit.  
       

         - Si ces créatures n'étaient pas humaines, je pense que les Lunariens s'en seraient aperçus et qu'ils nous auraient prévenus... présume Ballantine. 
       

         - Toujours est-il que leur aspect physique tend à prouver qu'ils seraient bien d'origine terrienne... relève le professeur en rajustant ses petites lunettes. 
       

         Les haut-parleurs semblent maintenant diffuser un compte à rebours …  L'attention des participants a aussitôt semblé plus soutenue. Tous paraissent à présent prêter une attention toute particulière à ce qui est transmis. Ils pianotent avec empressement et effervescence sur le clavier de leur ordinateur. Puis les diffuseurs sont tout à coup devenus muets, tandis que tous les regards se sont portés vers un gigantesque écran vidéo qui s'est allumé. 
       

         Les trois intrus se sont rapprochés à pas de loup pour se dissimuler dans un recoin de la salle. Stupéfaits, ils observent à leur tour les images que renvoie le vidéo.      
       

         Deux énormes structures de plusieurs kilomètres de diamètre en forme de roues superposées, viennent d’apparaître dans un relief saisissant. Elles sont reliées entre elles par des conduits comparables à de gigantesques tuyaux. Elles pivotent sur elles-mêmes en tournant lentement autour de leur axe, semblant suspendues dans l'espace telle une île cosmique.  
       

         - Nom d'une pipe, la station orbitale !... souffle le professeur.
       

         - C'est incroyable, elle est gigantesque !... s’effare Ballantine.
        

         - Ces individus n'ont effectivement rien à envier aux moyens dont dispose la NASA... réalise Winter, visiblement abasourdi.

     

    imag;dieux recadrée
    L'image de couverture a été réalisée par Sylvia TROLETTI

     

       extrait de : L'Empreinte des dieux - Stephan LEWIS - Ce roman sera dispo à la vente fin janvier 2012 - (sur INTERNET : AMAZON - ALAPAGE - LE FURET - CHAPITRE.com - CDISCOUNT - ABEBOOKS - etc ... ainsi qu'en librairie sous ref: Stephan Lewis - Editions EDILIVRE - APARIS) -

    Suite de la Lecture ci-dessous ...
     


    11 commentaires
  •  Quelques petits frissons ne vous feront aucun mal,
    mais ... sait-on jamais !!!!
                                                              S. Lewis
     
    Stephan LEWIS
     
    Le Manoir de la Terreur
    le manoir de la terreur - image
     
    Vendredi 16 mai … 16 h 27 …

                
            Le visage creusé, assombri d’un voile de fatigue, Sylvia  est sortie précipitamment de l’agence immobilière de La Rochelle au sein de laquelle elle assume les fonctions de négociatrice principale. Il s’agit de faire vite pour répondre au coup de téléphone qu’elle vient de recevoir. Un client, qui n’a pas décliné son identité, désire visiter le manoir de Cornelius. Une occasion inespérée, qui n’est certainement pas prête de se représenter !

           
            Contrairement aux derniers jours, la journée avait pourtant été calme, sans le moindre rendez-vous, la clientèle s’étant faite plutôt discrète. Sylvia s’était même assoupie sur son bureau, rêvant déjà aux mille et une choses qu’elle se préparait à faire durant le week-end, avant d’être rendue à la réalité par la sonnerie intempestive du téléphone qui l’avait brusquement sortie de cette somnolence passagère.

             
            Jamais elle n’aurait pu imaginer qu’un éventuel acquéreur puisse s’intéresser à cette bâtisse bizarre, vieillotte et biscornue, campée dans un parc au gazon pelé, enclavée dans un paysage de friches industrielles. Lorsque le responsable de l’agence l’avait chargée de prendre en main la vente de cette gentilhommière construite dans la seconde moitié du XIX° sur les fondations d’une ancienne abbaye bénédictine d’un pittoresque effrayant, elle avait accueilli la nouvelle avec une grimace de dépit.

             
            Le bâtiment est en effet plutôt " mal en point ", semblant même à l’abandon … Son solage de vieilles pierres s’effrite. Ses murs lézardés sont rongés par une mousse roussâtre, donnant l’impression de résister péniblement aux grands vents d’hiver et aux pluies rageuses. Quant au châssis de ses fenêtres aux vitres poussiéreuses derrière lesquelles on croirait voir passer d’inquiétantes silhouettes, il aurait besoin d’un sérieux rafraîchissement … Cet immeuble de style victorien est le reflet archétype de la maison hantée, qui inspire tant les auteurs de romans d’épouvante et les scénaristes du même crû. Alors, vous comprendrez que dans ces conditions, il semble difficile d’imaginer qu’un acheteur potentiel puisse s’intéresser à ce repère froid, sordide et effrayant !

            
            Son dernier propriétaire, un étrange personnage du nom de Cornelius, jouissait d’une sinistre réputation. Victime d’une crise cardiaque quelques mois auparavant, il avait définitivement quitté les lieux pour cracher son âme au diable. Il y avait vécu en solitaire, comme un ermite, toute sa vie durant, à l’écart de tout voisinage. L’inquiétante et fantastique demeure aux intrigues ténébreuses n’avait, disait-on, jamais reçu de visiteur. D’ailleurs, la frayeur qu’inspirait le manoir à toute la population était telle, que pas un seul habitant ne s’y était encore risqué. Ils se signaient le front en passant devant ou l'évitaient.

             
            Il est d'ailleurs à noter une certaine réserve de leur part ... Certains d'entre eux ne sont pas sans évoquer les maléfiques activités et l'obscure personnalité de l'ancien propriétaire des lieux.  Ils vont même jusqu’à colporter le bruit selon lequel le décès de l’étrange bonhomme masquerait une vérité atroce assortie d’un terrible secret, cachant d’obscurs forfaits. Si l’on se fie aux rumeurs, les nuits de pleine lune des cris et des bruits étranges s’élèveraient de l’antique demeure. Entre ces murs se seraient déroulés des faits anormaux et inexplicables. Des incidents bizarres, associés à des phénomènes déconcertants, auraient même défrayé la chronique quelques jours avant sa mort … Du reste, des plaintes concernant des événements insolites auraient été enregistrées … Et Cornelius aurait emporté dans la tombe d’inavouables secrets.

             
            En dépit d’un testament stipulant que la maison devait rester dans le grison familial, son seul héritier bénéficiaire, un petit-neveu par alliance désigné comme légataire universel, avait malgré tout et aussitôt manifesté hâtivement son désir de se séparer de l’immeuble et de la totalité du mobilier concerné, bien qu’il ne soit nullement dans le besoin. Il en avait confié la vente à l’agence.

             
            Le rendez-vous avec cet hypothétique acquéreur ayant été fixé au lendemain dans la matinée, Sylvia n’a donc que peu de temps pour s’assurer que tout est en ordre à l’intérieur de cette singulière demeure. Elle ne s’y était pas encore aventurée, ayant estimé, de toute évidence, qu’elle n’était pas à la veille d’en obtenir un compromis de vente.

            
            Contre toute attente, la voici néanmoins rendue devant cette imposante et glaciale habitation aux intrigues ténébreuses, qu’elle détaille d’un regard méfiant à travers les glaces de sa clio. Elle n’est pas sans évoquer l’hitchcockienne résidence de Rebecca. Isolée dans un grand parc tapissé de buissons et de ronces, planté à l’écart de toute vie civilisée, sa masse sombre et farouche ressemble à s’y méprendre à un monstre aux aguets. Le décor semble avoir été étudié aux fins de privilégier le fantastique et l’imaginaire, avec l'intention quasi évidente d’exposer les lieux aux agressions surnaturelles. Pas étonnant que l’endroit jouisse d’une si mauvaise réputation ! Une pesanteur, une angoisse indescriptible même, semblent suinter des murs de cette abominable bâtisse au demeurant hostile, de laquelle paraît sourdre une menace latente.

           
            Avec un soupir de résignation,  elle est descendue de sa voiture. D’une main hésitante, elle a poussé la grille de fer forgé défendant l’accès au domaine, dont la façade de lierre pendu aux crevasses de ses murailles reflète l’abandon et la tristesse.

            
            C’est à présent avec appréhension qu’elle traverse le parc en visiteuse téméraire et imprudente. Avec une moue angoissée, elle a gravi les quelques marches du perron conduisant au portail surmonté d’un marteau sculpté. Après avoir attendu impatiemment que son angoisse se dissipe, elle introduit la clé dans la serrure de la porte d’entrée. Elle l’entre-bâille craintivement en esquissant une grimace de contrariété avant d’en franchir le seuil, s’efforçant à présent de penser au plaisir de se faire peur, bien qu’elle ne soit pas spécialement friande de sensations fortes, mais faisant plutôt contre mauvaise fortune bon cœur. Une terrible appréhension s’est emparée de tout son être. Elle a subitement la désagréable sensation que la porte s’est refermée d’elle-même.

            
            Le cœur battant à un rythme endiablé, elle a inconsciemment retenu son souffle avant de se glisser timidement et comme une ombre à l’intérieur de l’étrange demeure lourde et silencieuse.

           
            Elle se risque à présent dans le grand couloir. La statue grotesque et inquiétante du démon Asmodée, le diable boiteux à l’aspect démoniaque et au regard hypnotique, postée en sentinelle, accueille les visiteurs éventuels. Son aspect terrifiant les met d’office dans l’ambiance, avec le désir évident de les placer en situation de complète insécurité. Tout ici respire la moisissure et il y flotte comme une odeur de souffre. D’autres remugles aux origines peu avouables se mêlent à ces relents peu engageants.

           
            Les portraits des habitants successifs du manoir qui recouvrent les murs semblent se déformer à son passage, ce qui n’est pas pour la rassurer dans cette obscurité qui la pénalise. Etant donné l’urgence de la situation, l’agence n’a pas eu le temps de faire remettre l’installation électrique en service. Heureusement, Sylvia s’est munie d’une torche pour parer à cet inconvénient. La bâtisse se révèle opaque dans ses moindres recoins, malgré les craintifs rayons de soleil qui s’infiltrent timidement au travers des persiennes ajourées, donnant l’impression que les objets sont éclairés par une lumière sépulcrale.

           
            Elle a franchi les derniers mètres la séparant du grand salon. Il y règne un froid singulier. Des chuchotements et des plaintes semblent chuinter de ses murs recouverts de boiseries. Le portrait suspendu au-dessus de la monumentale cheminée en pierre représentant un homme âgé au visage parcheminé, ridé et desséché, pareil à un démon vomi par l’enfer, a immédiatement attiré son attention. Ce ne peut être que celui de Cornelius. Ses yeux au regard froid et agressif semblent suivre ses moindres mouvements et condamner son intrusion. L’œil terrible, glacial et accusateur qu’il paraît  porter sur cette importune visiteuse est sans équivoque, semblant lui reprocher la profanation de ces lieux au demeurant interdits, ce qui la fait frissonner. Durant quelques secondes, Sylvia a même eu la désagréable sensation que l’horrible portrait la menaçait de son doigt. Son imagination fertile lui jouerait-elle des tours ? La névrose que représente cette maison nimbée de surnaturel persiste en elle comme une menace incohérente et terrifiante. Elle s’entête à s’exercer comme l’irruption sournoise de l’irrationnel dans la grisaille du quotidien. Visiblement mal à l’aise, Sylvia ne sait subitement plus que faire, afin de conjurer cette obsession. Elle sent à ses côtés une présence d'outre-tombe tapie dans l'ombre. Elle a vivement détourné son regard de cette photographie au teint cadavérique, de cette caricature humaine de l’ancien maître des lieux, qu’elle rend manifestement responsable de cette situation.

             
            La pièce est encore remplie d’objets aussi mystérieux que poussiéreux et la plupart du mobilier est recouvert d’un drap blanc. Cette atmosphère fantomatique où semble régner une ambiance hostile ne fait que renforcer cet effet de terreur superstitieuse. Ne va-t-elle pas s’imaginer à présent que, les nuits d’orage, cette fantastique demeure doit irradier de mille lueurs suspectes sous les éclairs ! Des ingrédients qui contribuent à accentuer encore et encore ce stress insupportable qui s’est emparé de sa personne depuis qu'elle est entrée. Prise dans l’univers restreint de cette étrange bâtisse, ce sentiment d’oppression ne fait que s’amplifier.

             
            Mais le temps presse. Elle se doit de satisfaire son client. Elle réalise brusquement que son imagination est en train de la plonger dans un cauchemar intolérable ! Cette anxiété qui la torture n’est de toute évidence qu’anodine, totalement dénuée de sens. Elle a tout à coup conscience qu’elle alimente inutilement et déraisonnablement son imaginaire. Cette impression de retrouver son âme d’enfant et de faire resurgir quelques fantasmes enfouis au plus profond de son subconscient lui fait même hausser les épaules. Qu’aurait-elle à redouter de ces vieilles pierres à l’esthétique repoussante, mis à part le fait d’en faire échouer la vente ? Exerceraient-elles sur sa personne un effet subjectif ? Et puis … Elle n’est pas craintive de nature. Et tout le monde sait que les fantômes, ça n’existe pas ! … Alors .. Que diable ! Bien que le mot soit mal choisi … Il lui faut se reprendre ! Il y a des choses qu’il faut accepter sans se poser de questions. Elle se doit d’exorciser ses peurs et ses phobies afin de commencer son inspection sans plus tarder et s'assurer que tout est en ordre. Elle n’a pas le choix. La bâtisse ne compte pas moins d’une quarantaine de pièces qui s’étendent sur trois niveaux.

             
            Elle a ravalé nerveusement sa salive à plusieurs reprises, avant de se risquer à poser le pied sur la première marche du grand escalier en spirale qui mène aux étages. Les boiseries anciennes craquent bruyamment sous ses pas hésitants, ce qui contribue à accentuer encore cette atmosphère de cauchemar. Elle a recommencé à frissonner, sentant au fond d’elle-même sourdre de nouveau une folle angoisse. Sur le qui-vive, la voilà qui se prend tout à coup à décortiquer le moindre bruit suspect.

             
            Elle vient d’emprunter le grand couloir tortueux, sombre et sinueux du premier étage, avec l’étrange sensation qu’il ne la mènera nulle part. Le parquet qui grince sous ses pas renforce encore ce sentiment d’insécurité. Mais elle a  tressailli ! Retenant son souffle, elle a tendu l’oreille … Oui, elle en est pratiquement certaine … Un bruit émane du rez-de-chaussée ! … Ses pulsations se sont subitement accélérées … C’est une porte qui vient de s’ouvrir dans le grand salon qu’elle a traversé quelques minutes auparavant. C’est à présent parfaitement audible, et même de plus en plus accentué … Quelqu’un est en train de gravir l’escalier et elle perçoit un bruit métallique, ressemblant singulièrement à un cliquetis de chaînes ! Plus de doute … Elle a cette fois la sensation d’être la victime choisie, attirée vers le lieu où le monstre l’attend, comme l’araignée guettant la mouche …

             
            Sans même réfléchir, elle s'est jetée sur la  porte de la première chambre qu’elle referme précipitamment derrière elle. Après un coup d’œil circonspect, elle s’est tapie derrière l’armoire qui meuble les lieux. C’est un sentiment de panique qui est cette fois en train de la submerger. Elle en retient même sa respiration. On se déplace dans le couloir … Le pas qui résonne comme une menace latente à la manière d'un écho maléfique durant une poignée de secondes, s’atténue toutefois peu à peu, semblant se perdre dans le néant.

             
            Avec mille précautions, elle se prépare à quitter la pièce. La main sur le bec-de-cane, elle prête l’oreille avant d’entrebâiller la porte pour risquer un œil dans le couloir. Le passage est désert. C’est sur la pointe des pieds qu’elle s’empresse de rebrousser chemin et descend précipitamment les marches du grand escalier. Elle a rejoint le grand salon sans même s’être retournée et s’est déjà pressée vers la sortie, lorsqu’à l’instant où elle passe une nouvelle fois devant le portrait de Cornelius dont le visage aux traits ahurissants et à l’aspect diabolique paraît la défier de son regard de braise, celui-ci chute lourdement sur le sol.

             
            Une main sur la poitrine, elle s’est retournée, guettant le démon qui habite sans nul doute ces lieux ensorcelés et qui doit s’être lancé à sa poursuite … Il ne va plus tarder à se manifester et elle s’est mise à trembler de tous ses membres. Mais seul un silence sépulcral et inquiétant répond à son tourment. La caricature de l’étrange bonhomme qui gît à ses pieds semble rire de son désarroi et c’est un coup de talon rageur qui vient de mettre un terme à cette horrible défiance.

             
            La gorge nouée par l’angoisse, elle reprend peu à peu confiance et réalise bientôt la stupidité de son geste d’humeur. Mais son cœur a cette fois fait un bond dans sa poitrine et une lueur d’effroi s’est allumée dans ses prunelles, tandis que les traits de son visage reflètent l’épouvante … Elle sent un souffle chaud et haletant sur sa nuque et des mains froides et visqueuses se sont posées sur ses épaules …

            
            - Sylvia ! Hé Sylvia ! Ce n’est pas le moment de piquer un roupillon !           

            
            Penché sur elle et la secouant énergiquement, c’est le visage amusé de son amie et collègue de bureau Laëtitia, qu’elle distingue en entrouvrant timidement une paupière.

            
            Affalée sur son bureau, Sylvia met quelques secondes avant de reprendre totalement contact avec la réalité …

            
            - Me suis assoupie… lâche-t-elle du bout des lèvres, les yeux hagards et l’air penaud, tout en étouffant un bâillement et en se redressant sur un coude, le cerveau encore embrumé.

            
            - Je vois ça… constate Laëtitia avec un sourire pincé… C’est vrai que cette semaine a été des plus éprouvantes et …

            
            Mais elle a aussitôt interrompu sa remarque, le timbre d’appel du téléphone venant de résonner.

            
            Après s'être saisie du combiné, elle échange quelques paroles avec la personne se trouvant à l’autre bout du fil avant de se tourner vers sa collègue, tout en replaçant l'appareil sur son support.

            
            - Tu vas pouvoir te dégourdir les jambes !… lui lance-t-elle avec un gloussement amusé… C’était le patron. Tu ne devineras jamais !

            
            - Deviner quoi ? Je t’en prie. Suis pas trop dans mon assiette aujourd’hui.

            
            - Tu te souviens … Cette vieille bicoque ? Le manoir de Cornelius ? Hé bien … T’as plus une seconde à perdre. Le patron désire que tu fonces là-bas voir si tout est en ordre. Un client souhaite la visiter demain dans la matinée.

     !!!


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  • le parapluie
     
     Le  Parapluie 

     Stephan LEWIS

     

    Printemps 1968 … mardi

            
            Joseph Winter, jeune étudiant britannique en archéologie âgé de 24 ans, décide ce jour de profiter de cette belle fin d'après-midi afin de réviser ses cours dans les jardins de Buckingham, à Londres.

            
            Notre futur archéologue, assis sur un banc, est penché sur ses notes, lorsqu'une toute jeune fille vient s'asseoir à ses côtés.
     
             La conversation se noue aussitôt autour de quelques sujets futiles.

            
            Au terme d'une petite heure, la jeune fille invite son interlocuteur à une petite fête donnée dans l'appartement de famille en l'honneur de son anniversaire, le jeudi à venir. Puis, elle l'abandonne à ses notes.

            
            Au jour et à l'heure dite et en dépit d'une pluie battante rendant les rues quasi désertes, le jeune Winter, muni d'un parapluie à manche de nacre gravé de ses initiales, se rend à l'adresse indiquée chez la jeune personne en question. Elle l'attend en compagnie d'une vingtaine d'autres invités au troisième étage de l'immeuble.

            
            La soirée se déroule au sein d'une douce atmosphère, agrémentée par une musique d'ambiance propice à la détente et à l'amusement. Winter noue à présent une longue conversation avec la jeune fille qui dit s'appeler Laëtitia Renault. Cette dernière lui présente un jeune ecclésiastique de ses amis passionné d'archéologie.

            
            Vers 22 heures, le jeune Anglais salue ses hôtes après avoir remercié la jeune fille, se promettant mutuellement de se revoir.

            
            Winter est à présent dans la rue, ressassant avec plaisir les quelques heures passées en compagnie de sa nouvelle amie, lorsqu'il ressent tout à coup le désir de fumer. Notre jeune étudiant bourre soigneusement son brûle-gueule, l'esprit ailleurs, certainement vaquant là où il était quelques minutes auparavant, lorsqu'il s'aperçoit avoir oublié son parapluie dans l'appartement. Plus satisfait que contrarié à l'idée de revoir celle à laquelle s'accrochent  à présent ses pensées, il fait aussitôt demi-tour pour emprunter une nouvelle fois l'escalier et sonne à la porte d'entrée …

            
            Curieusement, aucun écho de la petite fête ne lui parvient, et personne n'ouvre la porte malgré son insistance, alors qu'il ne s'est écoulé que quelques minutes depuis son départ.
            

             C'est le concierge qui, alerté par son acharnement, met fin à son obstination.
            

            - Laëtitia Renault ! Connais pas ! Voilà plus de vingt ans que cet appartement est inoccupé… lui confie ce dernier en se grattant machinalement le cuir chevelu.

            
            A présent, plus Winter tente de s'expliquer, plus l'affaire devient confuse.  Elle se termine même au poste de police du quartier en présence d'un certain Olways, propriétaire de l'appartement en question.  Le récit du jeune Winter pris pour un cambrioleur étonne tout le monde… En effet, l'appartement avait bien été occupé par Laëtitia Renault et sa famille, mais il s'avère que cette jeune personne était décédée depuis une vingtaine d'années.

            
            Suite à l'acharnement du jeune homme, on se décide finalement à ouvrir les portes de l'appartement … Il est alors plus de minuit…
           

             Surprise … !
           

             Plus aucune trace du mobilier entrevu quelques heures auparavant par Winter. Le parquet est couvert de poussière et les lieux semblent abandonnés depuis des siècles. A son grand étonnement, l'étudiant remarque une photographie demeurée sur  un cache-radiateur … Il y reconnaît aussitôt le jeune ecclésiastique avec lequel il avait pris tant de plaisir à discuter lors de cette soirée peu ordinaire.

            
            Le propriétaire a remarqué son air interloqué.
           

            - Cet homme …. Cet abbé !… murmure Winter… Nous avons discuté toute la soirée !
            

            - Cela m'étonnerait beaucoup que vous ayez parlé avec lui ce soir… sourit Olways… Il s'agit de mon grand oncle mort en Afrique où il était missionnaire.
           

            - C'est impossible… balbutie Winter… Il y a à peine 3 heures, nous étions là, près de la cheminée à discuter !
      
            Comme pour asseoir sa conviction, il s'est approché du tablier de marbre de la vieille cheminée ... Son regard s'est posé sur le porte-parapluies à l'intérieur duquel, couvert de poussière, se trouve un parapluie dont la crosse nacrée est gravée de deux initiales : J.W.


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  •         12 juin 2002 ... 

            
             Il est un peu plus de vingt deux heures ...

           
            Un sexagénaire à l’aspect distingué reflétant visiblement le flegme britannique, roule tranquillement pleins feux au volant de sa Jaguar E sous un ciel piqueté d’une myriade d’étoiles. L'esprit ailleurs, il se dirige vers Lavelanet, petite commune de l’Ariège.

           
            Il vient de dépasser la bretelle de Foix et il ne lui reste qu’une dizaine de kilomètres à parcourir. D’un geste machinal, notre homme allume la radio et prête une oreille distraite aux nouvelles condensées, que donne une speakerine à la voix agréable. La nuit est lumineuse, l’air tiède et malsain. Le véhicule vient de négocier un virage serré, lorsque dans le faisceau de ses projecteurs le chauffeur distingue une forme blanche plantée au milieu de la chaussée à moins d’une cinquantaine de mètres de distance. Surpris, il décélère jusqu’à stopper à hauteur d’une jeune fille toute de blanc vêtue.

           
            Il fait aussitôt coulisser sa vitre...

            
            - Bonsoir mademoiselle ... Vous allez vous faire renverser ! Que faites-vous donc par ici à pareille heure ?... s’étonne ce dernier en s’exprimant avec un léger accent anglo-saxon.

            
            - Je me rends à Lavelanet... Pouvez-vous m’emmener en ville ? C’est là que j’habite... indique la jeune personne d’une voix sourde et mécanique, dont le visage reflète une pâleur des plus singulières.

            
            Bien que surpris par la tonalité de sa voix, le conducteur lui a retourné un sourire pincé, mais indulgent. Avec un léger haussement des épaules, il s'est incliné pour lui ouvrir galamment la portière et l’invite à s’installer sur le siège avant. Puis le véhicule poursuit aussitôt sa route ...

            
            Chemin faisant, notre homme détaille furtivement sa passagère à la dérobée, d’un œil réservé et discret par-dessus ses petites lunettes qu’il porte sur le bout du nez ... 19-20 ans. Vêtue d’une robe blanche très années 60. Plutôt agréable à regarder, bien que curieusement pâlotte et ... peu bavarde, ne soufflant même le moindre mot. L’autoradio qui diffuse un programme de musique légère, meuble à lui seul cette morne atmosphère.

            
            Le chauffeur fait encore quelques tentatives pour nouer conversation, mais ses efforts demeurent toutefois infructueux, sa passagère ayant adopté une passivité quasi alarmante. Elle demeure inexplicablement silencieuse et immobile, un peu raide sur son siège, étrangement indifférente à tout ce qui l’entoure, presque absente.

            
            Ils roulent depuis maintenant une dizaine de minutes. Un silence gênant, presque pesant règne à bord, lorsqu’une pluie tiède et pénétrante se met soudainement à tomber avec une extrême violence. De grosses gouttes s’écrasent sur le pare-brise, alors que la  berline vient de dépasser le panneau signalant leur destination.

            
            La pluie s'abat bientôt en un véritable déluge, comme si une main géante avait ouvert un titanesque robinet. Une bourrasque souffle même soudainement sur la commune, tandis que la Jaguar emprunte la rue principale totalement désertée, éclairée succinctement par quelques enseignes au néon restées allumées.  

           
            La jeune fille désigne bientôt une habitation à peine distincte, perdue au fond d’un grand parc.

           
            - C’est ici que j’habite... indique-t-elle d’une voix plutôt froide, en remuant à peine les lèvres.

           
            N'y accordant aucune attention particulière, le conducteur lui propose courtoisement son imperméable, le temps pour sa passagère occasionnelle d’aller quérir un parapluie afin d’être en mesure de lui restituer son bien.

           
            Sans la moindre formule de remerciement pour son bienfaiteur, elle a jeté le vêtement de pluie sur ses frêles épaules avant de se diriger d’un pas lent vers le lourd portail qui s’est ouvert en grinçant sinistrement. Puis, elle s'est fondue dans la nuit.

            
            Son moteur tournant au ralenti et après avoir essuyé la buée qui se déposait sur la vitre d’un revers de la main, le chauffeur enfonce une allumette craquante dans le fourneau de son brûle-gueule. Il décide de patienter en écoutant distraitement la radio, sous l’égrenage incessant des va-et-vient monotones de ses balais d’essuie-glace qui se sont emballés pour chasser le voile hydrique ruisselant en continu sur le pare-brise.

            
            La rue est à présent balayée par des trombes d’eau qui se déversent sur la bourgade prise au sein d’un violent orage.

            
            Dix minutes se passent au cœur d’un silence seulement troublé par les battements de la pluie torrentielle qui a redoublé d’intensité, sans que la jeune fille n’ait refait son apparition.

            
            Après avoir réprimé un mouvement d’impatience assorti d’un soupir de lassitude, le conducteur s'est rangé prudemment sur le côté de la chaussée contre la bordure du trottoir. Il coupe les gaz et éteint ses phares. Puis, il relève frileusement le col de son veston pour se ruer, la tête rentrée dans les épaules, sous la pluie battante et le vent qui souffle en rafales, en direction du portail resté entrouvert.

            
            Il traverse à présent le parc d’un pas pressé en frissonnant dans la nuit froide. Après avoir gravi les quelques marches menant au perron de l’habitation, il a trouvé refuge sous le porche protecteur de la porte d’entrée.

            
            Un léger trait de lumière filtre à travers les volets de l’une des grandes baies vitrées. Avec un geste d’humeur, il s’éponge succinctement le visage, chasse nerveusement une mèche rebelle collée sur son front partiellement dégarni et essuie précautionneusement les verres de ses binocles. Sa redingote ruisselle de pluie, aussi se décide-t-il sans plus attendre et au risque qu’on le prenne pour un importun, à utiliser la sonnette ...

            
            - Quel toupet !... murmure-t-il entre les dents... La jeunesse d’aujourd’hui est d’une ingratitude !

            
          Le parc vient de s’illuminer, dévoilant ses pelouses verdoyantes et les massifs fleuris qui le tapissent… Mais la porte s'entrouve craintivement sur un homme âgé et squelettique, au faciès en lame de couteau et aux cheveux blancs. Il porte un vêtement d’intérieur. La mine étonnée et méfiante qu’il affiche ne surprend pas outre mesure son visiteur, étant donné l’heure avancée de la nuit.

            
            - Cher monsieur, pardonnez mon intrusion à cette heure tardive ... s’excuse ce dernier sur un ton empressé en prenant un air navré assorti d’un sourire gaufré... J’aurais souhaité récupérer la gabardine que j’ai prêtée il y a un quart d’heure à la jeune personne que je viens de déposer.

           
            Le vieil homme le dévisage d’un air interloqué à l’instant où surgit à son tour une femme d’un âge avancé, certainement l’épouse, accourue à la rescousse. Elle lui retourne elle aussi un regard sans équivoque, empreint d’une évidente suspicion.

           
            - Il n’y a aucune jeune personne ici... rétorque le vieillard d’une voix sèche et courroucée, visiblement sur ses gardes... Vous devez vous tromper d’adresse monsieur. Il y a assurément erreur... ajoute-t-il d’un air farouche en ébauchant même un geste d’indifférence, voire de mauvaise humeur.

           
            Poussée par une main rageuse, la porte a claqué au nez de ce visiteur visiblement indésirable.

            
            L’attitude du maître de maison, aussi inconvenante qu’inattendue, a pour conséquence d’exaspérer notre homme, lui faisant même perdre une bonne partie de son flegme naturel. Après avoir haussé les sourcils et s’être difficilement contenu, il ne renonce pas pour autant, mais fait aussitôt une seconde tentative avec un air déterminé.

            
            Et la sonnette tinte une nouvelle fois...

            
            La porte s’est de nouveau ouverte sur le maître de maison, visiblement agacé. Son visage, empourpré du rouge d’une colère naissante, reflète à présent la mauvaise humeur. Sa voix se hausse même au diapason de l’exaspération ...

            
            - Que voulez-vous enfin monsieur ! ... Permettez-moi de vous faire remarquer que votre insistance s’avère des plus déplacées ! Allez-vous continuer encore longtemps cette plaisanterie de mauvais goût ?... fulmine-t-il, exaspéré, saisi d’un énervement manifestement incontrôlable.

           
            L’autre paraît littéralement secoué par la surprise...

            
            - Calmez-vous mon ami ! Je m’excuse encore une fois de devoir vous importunerde la sorte et je conçois parfaitement l’incongruité de ma visite à pareille heure. Mais j’ai cru faire plaisir à cette jeune personne qui errait sur la route en la ramenant chez elle. Avec ce fichu temps, je lui ai même prêté mon imperméable. Et voici le résultat !... argumente ce dernier en se passant une main agitée sur ses vêtements mouillés.

            
            - J’habite seul ici avec mon épouse... s’emporte maintenant le vieil homme sur un ton irrité et peu amène, assorti d’une agressivité à peine masquée... Vous n’allez quand même pas nous rejouer cette comédie à tour de rôle !

            
            - Que voulez-vous dire ?

            
            - Ne faites donc pas l’innocent ! Il y a plus d’un mois que cette mauvaise farce persiste ! ... Et à chaque fois qu’il pleut !... indique-t-il avec âcreté, la moue exaspérée, en tendant un doigt accusateur en direction de celui qu’il considère certainement comme un plaisantin de mauvais goût, flanqué d’un importun personnage.

            
            - Mais ... Je vous assure que je ne comprends pas !

            
            - Bon ... Je veux bien vous croire... admet enfin le vieillard d’une voix soudain déconfite, assortie d’un soupir d’énervement... Vous êtes peut-être sincère après tout. Mais rendez-vous compte ! Vous êtes la quatrième personne à nous réclamer soit un parapluie, soit un ciré, ou encore un imperméable prêtés à je ne sais quelle jeune personne censée habiter cette demeure !

            
            Devant l’air ahuri affiché par son interlocuteur de passage, le maître de maison paraît cette fois perplexe. Sa lèvre s’est gonflée en une moue d’ennui. Il semble tout à coup enclin à de meilleures intentions. Le ton employé s’est même subitement radouci ...

            
            - Bon... Entrez ... Nous serons mieux à l’intérieur ... Quel temps de chien ! Et cette maudite bourrasque ! Pardonnez mon emportement, mais nous sommes sur les nerfs. Si cette plaisanterie au demeurant stupide persiste, nous finirons par aller déposer une plainte au commissariat.

            
            - Je vous certifie pourtant avoir vu cette jeune personne s’introduire dans votre propriété et je puis vous assurer qu’elle n’en est pas ressortie. Je suis formel... insiste le visiteur.

            
            - Nous ne comprenons rien à cette comédie... confie à présent l’homme d’une voix crispée, visiblement au comble de la contrariété... Et je vous garantis que personne, à part vous, n’est entré ici ce soir.

            
            Ils sont à présent dans le couloir. Le visiteur a croisé le regard hostile de la femme qui, sans la moindre indiscrétion, a retourné un œil désapprobateur envers son époux, lui signifiant certainement par là qu’il avait eu tort d’ouvrir leur demeure à cet étranger dont elle désapprouve visiblement la présence, la jugeant même manifestement désobligeante.

            
            - Permettez au moins que je me présente... suggère toutefois ce dernier, plutôt confus, en lui adressant un sourire contraint, conscient de jouer ici et involontairement le rôle de l’intrus, de l’indésirable... Je suis le professeur Joseph Winter. Je reviens d’un congrès qui s’est déroulé à Perpignan et ...

           
            - Le professeur Winter ! Le célèbre archéologue ! J’aurais dû vous reconnaître ! On parle si souvent de vous à la télévision et dans les journaux... s’enthousiasme subitement le mari d’une voix confuse, la mine soudain penaude... Vous êtes Britannique n’est-ce-pas ? Mais vous possédez une propriété près d’ici. A Montségur, si je ne m’abuse ?... et le vieil homme semble à présent ne plus vouloir tarir d’éloges sur son visiteur.

           
            - J’étais justement en route pour regagner mes pénates... précise ce dernier avec un sourire discret, à la fois soulagé et visiblement satisfait de la notoriété dont il semble jouir en ces lieux.

            
            - Excusez-nous professeur, mais depuis quelque temps, nous sommes devenus méfiants... s'empresse de bredouiller à son tour la femme, au terme d'un silence gêné... Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune homme d’une vingtaine d’années peut-être, plutôt vulgaire d’ailleurs, nous a dérangés à peu près à la même heure pour nous conter à peu de chose près les mêmes faits, alors qu’il faisait également un temps épouvantable. Il prétendait lui aussi avoir raccompagné une jeune femme jusqu’à la grille du parc et lui avoir prêté son parapluie. Cette jeune personne l’aurait aussi prié d’attendre qu’elle revienne avec le sien pour lui restituer son bien.

           
            - C’est étrange ... vous me dites que les conditions climatiques étaient identiques à cette nuit... relève Winter, perplexe.

            
            - Je vous prépare une tasse de thé professeur. Cela aidera peut-être à vous faire oublier notre emportement... propose cette fois la femme, devenue soudainement prévenante, invitant même son visiteur à pénétrer dans la salle à manger avec un geste d’insistance.

           
            Winter consulte rapidement son bracelet-montre...

            
            - Vous êtes très aimable chère madame ?...  observe-t-il en esquissant un sourire d’amabilité, butant volontairement sur le patronyme.

            
            - Devaux ... Monsieur et madame Devaux... se hâte de préciser le mari.

            
            - Je vous remercie de votre obligeance madame Devaux, mais j’ai déjà perdu un temps précieux et vous m’en voyez sincèrement navré. Je ne puis m’attarder davantage ... Tant pis pour ma gabardine. Il faut croire que cette jeune personne qui vous joue cette farce collectionne, à votre insu, les vêtements et les accessoires de pluie... présume Winter avec un sourire contraint... N’excluons toutefois pas la possibilité d’une plaisanterie d’un goût dirons-nous ... douteux. Mais enfin ...

            
            Sans autre commentaire, il s’est déjà hâté vers la sortie, lorsqu’il jette un œil oblique et distrait sur le bahut de la salle à manger … Il n’a pu retenir un tressaillement, tandis que son regard s’attarde sur l’une des photos encadrées qui garnissent le buffet. Fronçant les sourcils dans un tic qui lui est familier, il a marqué un temps d’arrêt. Ses hôtes de circonstance, sans comprendre, ont à leur tout dirigé leurs regards dans la même direction, sans toutefois interpréter la réaction étrange du professeur.

            
            - La jeune fille, sur cette photo !... s’étonne ce dernier en se penchant sur le portrait.

            
            L'ombre d'une profonde tristesse est passée dans les yeux gris du vieil homme et son visage s’est subitement creusé.

            
            - C’est notre petite Sarah... murmure-t-il, en étouffant un soupir haché.

            
            - Elle nous a quittés il y aura bientôt trente ans ... Elle est décédée dans un accident de la circulation... complète la femme d’une voix rendue rauque par l’émotion, détournant presque aussitôt son regard... Elle venait d’avoir ses vingt ans. Elle repose dans le petit cimetière, près de notre maison.

            
            Cette fois, le professeur a haussé les sourcils ... Sans en demander l’autorisation, il s’est emparé du cadre renfermant la photographie qui représente une jeune fille au sourire moqueur et insouciant, assise en amazone sur une moto.

           
            - Ou votre fille a une sœur jumelle, ou... extrapole-t-il en hésitant, détaillant les Devaux d’un œil indiscret par-dessus ses binocles.

            
            Les intéressés ont échangé des regards interdits et Paul Devaux considère tout à coup Winter d’un air interloqué.

            
            - Nous n’avons eu que cette enfant... murmure-t-il, la lèvre inférieure légèrement tremblante en exhalant un nouveau soupir.

            
            - Que voulez-vous dire professeur ?... s’étonne à son tour l’épouse.

            
            Un embarras marqué s'est dessiné sur le visage de Winter qui examine à présent la photographie avec une attention soutenue.

           
            - Cela va certainement vous paraître absurde, mais la personne qui se trouvait   tout à l’heure dans ma voiture ressemble à s’y méprendre à votre fille... finit-il par avouer avec une moue de tergiversation.

            
            La femme a pâli. Son époux a sursauté. Ils échangent maintenant tous deux des regards effarés.

            
            - C’est impossible... objecte ce dernier d’une voix étranglée... Vous avez... tente-t-il d’ajouter sans pouvoir terminer sa phrase, ses yeux gris semblant implorer une explication.

            
            Le désarroi s’est manifestement emparé du couple, visiblement paralysé par l’émotion. Le coup a été rude et difficilement encaissable, accentuant l’embarras du professeur. Celui-ci se trouve à présent dans la plus totale expectative, regrettant amèrement d’avoir ainsi jeté le trouble dans la demeure pour avoir remué involontairement des souvenirs depuis longtemps enfouis et par trop pénibles à évoquer.

            
            - J’avoue toutefois qu’avec l’obscurité... argumente-t-il alors gauchement avec une maladresse quasi étudiée, conscient de cette équivoque et tentant à présent de se reprendre avec un frisson de regret dans la voix... Et puis, il est vrai que cette jeune personne est restée de marbre durant le trajet. Nous n’avons échangé que quelques brèves banalités ... Après tout, j’ai très bien pu me tromper ... Et si vous me dites qu’elle était votre unique enfant ... Pardonnez mon erreur... finit-il par bredouiller, plutôt contrarié de s’être fourré dans une situation aussi délicate. Puis, après un ultime instant d’hésitation... Il est temps que je reprenne la route... argumente-t-il en toussotant... Fort heureusement, il ne me reste qu’une douzaine de kilomètres d’ici Montségur. Ravi d’avoir fait votre connaissance... ajoute-t-il en esquissant un sourire gêné, saluant ses hôtes occasionnels d’une main tendue, masquant maladroitement sa déconvenue. Puis, sans plus se faire prier, il s’est dirigé vers la sortie, suivi du couple qui semble à présent agir à la façon de deux automates, absent et le regard lointain, vide de toute expression.

            
            Trempé de la tête aux pieds, le professeur Winter a repris place au volant de sa Jaguar. La mine dubitative, son regard erre d’abord au hasard, épiant les alentours de la propriété. Puis, il détaille les environs avec une attention soutenue, guettant l’hypothétique apparition de la mystérieuse et audacieuse jeune fille. Mais l’endroit reste désert.

            
            Plus qu’à son tour partie prenante pour les intrigues et dévoré par une curiosité quasi pathologique, une étrange intuition vient de lui traverser l’esprit ...

            
            Les époux Devaux lui ont bien précisé que leur fille était enterrée dans le petit cimetière contigu à leur habitation ! Celui-ci doit donc se trouver dans le voisinage.

            
            Il se gratte pensivement la nuque, la mine réfléchie, étouffant trois ou quatre bâillements. Puis, avec des gestes lents trahissant sa perplexité, il a allumé sa courte pipe et contemple durant un instant les volutes de fumée bleue qui s’étirent paresseusement vers le plafonnier, en tapotant machinalement le cuir de son volant. Notre homme est visiblement intrigué, hésitant encore sur la décision à prendre, mais qui maintenant s’impose malgré l’heure avancée ... Dehors, la pluie a cessé de tomber ... Après une dernière hésitation et bien qu’il ne soit pas loin de vingt trois heures, son sens inné de la curiosité finit par prendre le dessus. Aussi se décide-t-il brusquement à en avoir le cœur net. Après avoir emprunté une lampe électrique dans le vide-poches, il abandonne une nouvelle fois son véhicule pour longer les murs du parc des Devaux.

            
            Il n’a parcouru qu’une cinquantaine de mètres, qu’il est déjà rendu devant l’entrée du cimetière. Les grilles sont ouvertes, mais les lieux ne sont pas éclairés. La nuit est noire, épaisse et inquiétante, aussi se glisse-t-il comme une ombre dans l’allée menant aux tombes.

            
            La silhouette sombre des arbres et la brise un peu forte qui agite les branches qui bruissent dans les ténèbres créent une atmosphère angoissante. On ne perçoit plus que le léger bruit de son pas qui crisse sur le gravier. C’est le cœur battant la chamade, qu’il est arrivé en vue des premiers tombeaux.

            
            Les pinceaux de sa lampe fouillent fébrilement l’obscurité. Impressionné par le silence et la solitude qui règnent dans l’endroit, il inspecte minutieusement chaque sépulture, à la recherche de celle portant le nom de Sarah Devaux … Mais il vient de tressaillir à l’approche d’un tombeau ... Il en reste même figé de saisissement ... Une boule d’angoisse lui bloque la gorge ... Ce n’est pas le patronyme gravé sur la pierre qui en est responsable. C’est le vêtement de pluie qu’il vient de reconnaître pour être le sien et qui recouvre le caveau sur lequel il lit avec stupéfaction ... « Ici repose Sarah Devaux. »


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  • Stephan LEWIS en dédicaces au FURET 

     

    Le  Mystère
    de 
    L'île des Géants

     

     

    RESUME -

    En se lançant sur les traces de Lord Roclam disparu mystérieusement dans le Mato-Grosso où il était parti six mois plus tôt à la recherche de la légendaire cité perdue du Grand Païtiti, la cité des Incas, Dany Ballantine et le professeur Joseph Winter ignoraient que cette surprenante aventure les entraîneraient, bien malgré eux, sur l’île de Pâques.
    Cette terre des géants allait les amener à percer le secret bien gardé de ses sentinelles de pierre aux faces énigmatiques, montant depuis toujours leur garde silencieuse auprès des volcans endormis.

    CHAPITRE I
     
       
            Juillet 1999

     

       
            – " Je sais où je vais et là, personne, jamais, n’est encore allé… Je dévoilerai les secrets de mon voyage quand nous reviendrons… Si toutefois nous en revenons… Ton père qui t’aime " -

     

       
            Tel est le texte du  message, que la jeune femme aux yeux d’un bleu intense, pétillant d’intelligence, vient de parcourir une nouvelle fois avant de le glisser dans la poche de sa veste en toile avec une certaine fébrilité.

       
            – Cela ne sert à rien de vous énerver Caro. Nous allons bientôt être rendus à destination. Nous en apprendrons certainement davantage par les Indiens. Certains d’entre eux ne doivent pas être sans savoir où se trouve votre père.

     

        
            Le conseil a été donné par un solide gaillard d’une quarantaine d’années au physique élancé, la chemise ouverte sur un torse musclé qui occupe la place principale du poste de pilotage du petit bimoteur piper-club de location.

     

       
            Ce dernier, répondant au nom de Dany Ballantine, ingénieur en électronique de son état, dirige d’une main experte l’appareil au-dessus des jungles vertes de l’immense forêt sauvage amazonienne qui, tel un gigantesque dôme, coiffe d’impénétrables mystères.

     

        
            – Il y a quand même plus de deux mois que papan’a plus donné de ses nouvelles !… rétorque la jeune femme, dont les formes parfaites et harmonieuses sont moulées par une tunique blanche serrée à la taille et qui chasse d’un geste irrité une mèche rebelle de sa longue chevelure blonde.

     

       
            Aux côtés du pilote, en pantalon léger et bras de chemise, le professeur Joseph Winter tire machinalement de temps à autre une bouffée de la courte pipe en écume qu’il tient entre les dents.

     

       
            Cet éminent archéologue sexagénaire de réputation mondiale, au front partiellement dégarni, sujet britannique à l’instar de ses deux compagnons de voyage, semble plongé dans ses pensées. Il observe d’un œil distrait la voûte semblable à une mer de verdure qui moutonne à l’infini, défilant inlassablement sous la carlingue de l’appareil, dont l’ombre se profile sur cet interminable tapis vert.

     

        
            – Je connais Ben depuis des lustres. Il n’est pas dans ses habitudes de se lancer dans une aventure sans lendemain… tente-t-il d’argumenter en toussotant, incommodé par la fumée de son brûle-gueule.

     

       
            – Avouez tout de même que ce silence qui perdure est alarmant… soupire Carolyn, visiblement rongée par l’inquiétude.

     

       
            Ils viennent de franchir la frontière indienne, la dernière zone limitrophe vers le Xingu. Ils comptent s’y rendre à la recherche de Lord Benjamin Roclam, colonel en retraite, parti six mois plus tôt à la découverte de la légendaire cité perdue du Grand Païtiti, la cité des Incas.

       
            – D’après la carte, nous ne devrions plus tarder à survoler le village des Kaïapos… indique Ballantine, après que l’appareil soit descendu à basse altitude.

     

        
            Une grande clairière rompant la monotonie de la forêt, se dessine presque aussitôt dans le paysage, telle une tâche perdue au sein de l’enfer vert. Ils survolent à présent un entassement de grandes baraques en planches aux toits de palmes, toutes identiques, formant un cercle parfait cerné par la jungle.

       
            Après une approche circulaire de reconnaissance, Ballantine a pesé sur les commandes afin d’amorcer sa manœuvre d’atterrissage. Le piper a viré sur l’aile pour glisser au ras des arbres en réduisant sa vitesse. Après avoir effectué un dernier crochet, il se pose en cahotant sur le petit terrain de fortune du poste-frontière couvert de flaques et de boue, où un autre avion paraissant dater des débuts de l’aéronautique est parqué sous un abri rudimentaire.

       
            Ils ont à peine posé le pied à terre, qu’un nuage de lucioles les environne. Quelques métis accompagnés d’Indiens, représentant certainement le comité d’accueil, se sont portés à leur rencontre pour les saluer avec empressement. Les indigènes, coiffés " au bol ", ont les cheveux teintés de rouge. Un Blanc d’une cinquantaine d’années tétant laborieusement un ninas, se trouve parmi le groupe. Grand et de forte corpulence, le casque tropical vissé sur le crâne, il a le visage tanné par le soleil et marqué de profondes rides verticales.

     

       
            – Bienvenue au Xingu !… lance-t-il dans un anglais parfait, avec une voix rocailleuse… Je suis le docteur Franck Wells, le médecin du village. Nous avons été avertis de votre arrivée par les autorités locales… précise-t-il encore en souriant.

     

       
            – Merci pour cet accueil docteur… se confond Ballantine en esquissant à son tour un sourire d’amabilité, tout en serrant la main tendue… Mon nom est Dany Ballantine. Et voici le professeur Joseph Winter. Nous accompagnons mademoiselle Carolyn Roclam… se presse-t-il d’ajouter, en désignant l’intéressée.

     

       
            – Ravi de faire votre connaissance… se réjouit Wells… Monsieur Diego Cortes est le responsable du poste-frontière… poursuit-il, en accentuant son sourire de complaisance, désignant le susnommé présent à ses côtés, aussi squelettique et transparent qu’une toile d’araignée… Quant à mon ami Rono, ici présent, il est le chef des Kaïapos... indique-t-il encore. 

     

        
            Ce dernier, revêtu de sa coiffe de couleurs et de sa robe de cérémonie, les salue on ne peut plus cérémonieusement, sous le regard impressionné de Carolyn. Il a le corps et le visage peints et des plumes de perroquets sont attachés à ses bras. A l’instar de ses compagnons, elle tente de ne pas laisser porter son regard sur le plateau en bois incrusté entre sa gencive et sa lèvre inférieure, qui lui distend horizontalement le bas de la bouche. Cette particularité est destinée à effrayer d’éventuels ennemis. Elle peut signifier, en outre, qu’il est guerrier par tradition.

       
            – Je suis le seul Britannique ici… précise Franck Wells… Tous ces gens ne s’expriment qu’en un portugais rudimentaire, mêlé d’espagnol. Mais je me débrouille.

     

       
            – Je pense que j’arriverai moi aussi à m’en sortir… sourit Winter… Je parle couramment l’espagnol et je bafouille quelques mots de portugais.

         
            – Parfait.. complimente le docteur... Cependant, si je puis me permettre, et pardonnez mon indiscrétion, mais vous savez, le coin n'attire pas particulièrement la race blanche et ... 

       
            – Nous sommes à la recherche de Lord Roclam… anticipe aussitôt Ballantine, sans lui laisser le soin de terminer sa phrase.

     

        
            – Ah oui, le colonel ! Je n’avais pas fait le rapprochement avec mademoiselle !

     

       
            – Carolyn est sa fille… précise Ballantine.

        
            – Il est venu pour la première fois dans le coin, il y a cinq ousix mois de cela… indique Wells.

     

        
            – Son dernier message remonte à plus de huit semaines… confie sans attendre la jeune femme d’une voix anxieuse, en se passant une langue rapide sur les lèvres.

       
            – Huit semaines, dites-vous ! Cela ne m’étonne pas. Ici je ne vois pas le temps passer. Mais … Je me rappelle en effet l’avoir revu il y a … disons deux mois. Il revenait d’une expédition avec son ancien aide de camp. Un certain Edwards. Ils étaient de retour au village pour refaire leurs provisions, après plusieurs mois éprouvants dans la jungle. Votre père en a sans doute profité pour vous faire parvenir de ses nouvelles. Depuis, nous ne les avons pas revus. Ils étaient visiblement pressés de retourner dans le Mato Grosso.

     

       
            L’appréhension commence à s’emparer progressivement de la jeune femme. Son charmant minois est déformé par l’angoisse et le docteur s’en est aperçu…

     

       
            – Ne vous inquiétez pas outre mesure… se reprend-il aussitôt… Si je me souviens bien, une vingtaine d’Indiens sont repartis avec eux dans la brousse. Ces indigènes connaissent mieux que quiconque la jungle amazonienne. Mais … maintenant que j’y pense et cela m’a paru étrange … Hormis le fait qu’ils aient emporté des vivres pour plusieurs semaines, votre père s’est fait livrer, par avion, plusieurs fusils de gros calibre. Or, exception faite des jaguars et des panthères, la jungle ne recèle aucun animal justifiant de cet armement. De simples carabines suffisent pour la chasse. Mais personne ici n’a osé lui en demander la raison. D’ailleurs, il est retourné dans la jungle aussitôt après avoir réceptionné les armes en question.

     

       
            Winter et Ballantine ont échangé des regards étonnés.

       
            – Il n’a donné aucune indication sur les lieux où il comptait se rendre ?… s’enquiert ce dernier, la mine réfléchie.

     

        
            – Vous savez, les gens d’ici ont pour habitude de ne pas poser de questions. Le colonel m’a simplement confié qu’il repartait pour le sud-ouest du Mato Grosso en remontant le fleuve. Ils auraient, d’après leurs dires, découvert une cité perdue, en un lieu encore ignoré de la civilisation. Les jungles du Mato Grosso recèlent pas mal de mystères. C’est vraiment une porte ouverte sur l’inconnu. Une zone où pas un seul Blanc, à ma connaissance, n’a encore mis les pieds.

     

       
            Winter et Ballantine ont tout de suite remarqué l’air affolé de leur compagne, affairée à se ronger les ongles, l’oreille attentive à la conversation et qui a levé sur eux un regard désemparé.

     

        
            – Nous comptons engager quelques Indiens… indique à présent Ballantine… Nous sommes ici pour retrouver le colonel et nous voudrions partir, nous aussi, pour ces contrées.

     

       
            – Du moment que vous les rémunérez correctement, les Kaïapos vous mèneront où que vous vouliez aller. Bien qu’ils ne se soient jamais aventurés dans les jungles perdues du sud du Mato Grosso.

     

       
            – C’est vrai qu’il y a tout de même une sacrée trotte… souligne Winter.

     

       
            – Ce n’est pas là le problème. Les Kaïapos ont l’habitude d’effectuer de grands déplacements en forêt. Mais cette zone, commeje vous le disais, recèle encore bon nombre de mystères. En outre, elle renferme de nombreuses tribus anthropophages, qui n’ont encore eu aucun contact avec notre civilisation. Mais enfin, je crois que vous réussirez à convaincre Rono pour qu’il vous donne quelques hommes. Le colonel y est bien parvenu.

       
            Ce disant, le docteur s’est tourné vers le chef indien, avec lequel il palabre durant quelques instants.

     

        
            – Il est d’accord… glisse discrètement Winter à l’oreille de son ami, ayant saisi la brève conversation entre les deux hommes, avant même que leur compatriote ne leur ait transmis la réponse.

     

       
            – Il accepte… confirme presque aussitôt Wells… Vous aurez ce que vous voulez, à la condition que vous lui remettiez deux cents dollars américains pour chaque individu qui vous accompagnera.

     

       
            La transaction leur paraissant honnête, il a aussitôt été entendu qu’une dizaine de guerriers les accompagneraient à travers la jungle.

     

     extrait de : Le mystère de l'île des géants de Stephan LEWIS 

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