•                            Le Cimetière 

                                                        - Stephan LEWIS -

            

             Certains cimetières sont des endroits propices à l'éclosion du fantastique. Leur atmosphère étrange et inquiétante inspire les plus terrifiantes légendes. C’est le lieu privilégié des goules, des fantômes et des vampires.

             1er novembre 2010 … 5 h 05 du matin …

            A l’aube naissante de la Toussaint, dans une petite agglomération du nord de la France, deux adolescentes, pressées de rentrer chez elles, empruntent un raccourci passant par le vieux cimetière.

            Alice et Béatrice, deux sœurs âgées respectivement de 15 et 16 ans, reviennent d’une mémorable soirée Halloween, fêtée en compagnie de plusieurs amis. L’ambiance était chaude et la veillée s’est agréablement déroulée. C’est donc avec regret qu’elles regagnent leurs pénates.

            La nappe de brouillard qui s’étend progressivement, tel un voile impénétrable, réduit la visibilité des lieux à peine sortis des ténèbres de la nuit, les rendant plus sinistres encore. Les branches dansent comme des serpents charmés par la musique du vent. Emmitouflées dans leurs parkas, capuches rabattues et malgré l’ambiance lugubre qui s’est installée, les deux adolescentes plaisantent avec insouciance, cherchant leur chemin dans l’obscurité. Elles se remémorent ces instants merveilleux passés précédemment avec leurs amis. Elles sont alors loin d’imaginer qu’elles n’oublieront jamais cette froide nuit d’automne.

            Elles viennent de froncer les sourcils et ont interrompu leur discussion pour prêter l’oreille … Il leur a semblé percevoir un bruit étrange. Quelque chose comme une plainte, une sorte de gémissement. L’incident n’a troublé la tranquillité des lieux que l’espace d’un instant. Puis, plus rien … Le silence s’est aussitôt rétabli.

            Les deux sœurs ont échangé des regards étonnés.

            - Tu as entendu ?… souffle Alice.

            - Qu’est-ce que ça pouvait être ?… murmure Béatrice, en embrassant les alentours d’un œil inquiet et méfiant.

            - Certainement des corbeaux… imagine Alice, comme pour chercher réponse à une anxiété naissante.

             - Ou des revenants. Les fantômes se manifestent plutôt par des bruits de chaînes… plaisante Béatrice, la boutade assortie d’un frisson.

             - Ce ne sont que des croyances ridicules qui ont toujours couru les nuits d’Halloween… banalise Alice, en haussant les épaules.

             - Oui, mais … sait-on jamais… persiste Béatrice d’un ton railleur, l’œil goguenard. N’oublie pas que cette nuit est celle des superstitions. Tous les esprits surnaturels sortent de leurs repaires pour flâner dans la nuit. Démons, fantômes, revenants, sorcières, ogres, vampires, morts-vivants, momies tueuses et j’en passe, sortent de l'ombre pour chercher leurs proies ...

             - Arrête, tu me fais flipper !.. rétorque nerveusement sa sœur, manifestement peu encline à supporter les niaiseries de son aînée.

             L’oreille aux aguets et les sens à fleur de peau, les voici tout à coup attentives au moindre bruissement, scrutant longuement les ténèbres, tentant de saisir à nouveau cet étrange geignement. Mais seul le silence répond une nouvelle fois à leur attente. Tout est noir autour d’elles … Aucun bruit … Rien … Rien que ce grand silence sépulcral, faisant maintenant plus de bruit dans leurs têtes que n’importe quoi. Elles sont néanmoins certaines d’avoir entendu quelque chose. On ne saurait s’y tromper. Cet endroit paisible, qui inspire le repos et le respect, leur semble tout à coup hostile, comme animé d’une vie interne. Et elles prennent peur.

             N’étant pas spécialement amatrices de frissons, et la gorge nouée par une angoisse naissante, elles ont pressé le pas, impatientes de quitter rapidement les lieux. Etant donnée l’ambiance pour le moins angoissante, voire troublante, qui s’est installée, un simple coup de vent pourrait faire croire à une multitude de choses terrifiantes. Afin de se redonner un peu d’assurance, elles ont repris un semblant de conversation, tentant de penser à autre chose en évitant de nourrir leur imagination de sordides superstitions.

            - Ecoute !… tressaille de nouveau Alice, en agrippant le bras de sa sœur dans un mouvement trahissant son désarroi.

            - Voilà que ça recommence !… s’angoisse à son tour Béatrice, une flamme d'inquiétude dans le regard.

            Cette fois, le même bruit suspect s’est fait entendre à trois reprises, de plus en plus rapproché, comme une présence invisible, mais bien réelle … Elles redoutent brusquement que quelque chose se tienne tapie, là, quelque part, dans le royaume des ombres. La tension est montée d’un cran, se faisant plus intense. Les tombes qui les entourent semblent avoir pris un aspect sinistre, leur donnant la chair de poule. Le seuil de nervosité a été franchi. Les deux jeunes filles sont à présent sujettes à une étrange sensation, comme si tout, dans ce cimetière, les surveillait subitement. L’appréhension d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Et c’est un sentiment d’insécurité qui les envahit progressivement.

            - Nous ne sommes pas seules… glisse Béatrice au creux de l’oreille de sa sœur, en posant une main tremblante sur son épaule.

            - Qu’allons-nous faire !… panique déjà Alice, d’une voix crispée.

            - On bifurque sur la gauche en vitesse… lui rétorque Béatrice, en s’exécutant précipitamment

            Affolées, jetant des regards déroutés aux alentours, elles se sont mises à courir, avec la désagréable impression de se sentir dans la peau d’un animal traqué … Lorsque soudain … des crissements sur le gravier leur ont fait dresser le poil … Le front couvert d'une sueur froide, elles ont stoppé leur course folle. L’une comme l’autre semblent terrifiées. Elles ont acquis la certitude que quelqu’un les suit … La peur au ventre, elles épient le voisinage, s’efforçant de se rassurer mutuellement …

            Il se passe sans aucun doute quelque chose d'extrêmement sinistre et menaçant dans le cimetière.

            - Là ! … s’est écriée Alice d’une voix blanche, en tendant le bras.

            La lumière blafarde diffusée succinctement par l’un des rares réverbères, leur dévoile furtivement une ombre fugitive qui a semblé se glisser entre les tombes.

            - Par ici ! … a lancé Béatrice, en saisissant sa sœur par la manche pour l’entraîner à sa suite.

            Et c’est sans demander leur reste, qu’elles ont repris leur débandade, cherchant à travers l’obscurité le chemin menant vers la sortie.

           Les poumons en feu, vacillant entre les sépultures fleuries de chrysanthèmes, elles ont à présent perdu leurs repères, ne sachant plus où elles sont, telles des aveugles perdues au milieu des tombes.

            Mais elles ont de nouveau marqué un temps d’arrêt, subitement figées dans une immobilité de statue. Quelque chose d’insolite vient de capter leurs regards. Elles fixent, avec effroi, la forme fluidique semblable à une image spectrale qui se profile dans le brouillard, à moins d’une dizaine de mètres devant elles… Elle est encore floue, mais se dirige sans bruit dans leur direction. Et le silence, qui a repris possession des lieux, leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant, enfantant un suspense insoutenable.

            Béatrice a senti son estomac se contracter ; tandis que Alice, le visage décoloré marqué par une expression d’effroi, a laissé fuser un cri de stupeur d’entre ses lèvres. Elle a empoigné le bras de sa sœur pour le serrer convulsivement, comme pour se chercher une protection … L’une, comme l’autre, ont soudainement pris conscience que cette hantise qui les tenaillait depuis quelques minutes allait, sans plus tarder, se concrétiser en une réalité assurément insoutenable. Elles appréhendent et anticipent cette fatale rencontre avec son cortège de cauchemars terrifiants. Paralysées par la frayeur, une boule d’angoisse les empêche de déglutir et plus aucun son ne parvient à sortir de leur bouche. Et c’est avec une lueur d’effroi dans les prunelles, qu’elles observent cette singulière vision à la démarche traînante, qui s’avance et se précise, prenant corps peu à peu. Elle se révèle aussitôt être une jeune femme de taille moyenne, drapée dans un long manteau démodé à col de fourrure aux tons bleutés si intenses, qu’ils pourraient rivaliser avec ceux d’une nuit sans lune.

             - Que faites-vous ici à pareille heure ?… a lancé une voix anonyme, les faisant sursauter et émanant de cette forme ahurissante.

            Eberluées, les deux jeunes filles, dont les visages reflètent la plus extrême frayeur, ne semblent pas avoir correctement interprété le sens des paroles prononcées.

            - Je vous ai fait peur ?… s’assure aussitôt l’étrange silhouette.

            - Qui … qui êtes-vous ?… risque timidement Béatrice, les traits crispés et d’une voix étranglée.

            - Je suis celle qui règne sur ces lieux abritant les créatures de l’oubli, en quête de visiteurs nocturnes… rétorque l’insolite présence à l’intonation lugubre.

           Les deux sœurs, prises d’un tremblement incontrôlable et dont les cheveux se sont littéralement dressés sur la tête, ont pressenti leur dernière heure arrivée. Au bord des larmes et le cœur battant à un rythme endiablé, elles se sont serrées l’une contre l’autre en échangeant des regards effarés.

            L’inconnue n’a pas tardé à les rejoindre. Elle est à présent à leur côté et dégage une forte odeur corporelle écœurante. Une longue chevelure couleur de lin lui tombe jusqu'aux épaules. Elle doit friser la quarantaine. Son visage aux pommettes saillantes, fin et aussi pâle qu’un mannequin de cire, semble curieusement fait d’une porcelaine adaptée à l’obscurité.

            - Je plaisante… se presse-t-elle d’ajouter d’une voix monocorde… En fait je regagne mon domicile et je suis en retard. Mais vous ne devriez pas traîner par ici à une heure aussi tardive ! …

            - C’est que … nous revenons d’une soirée Halloween et nous rentrons à la maison. Mais nous nous sommes égarées dans le cimetière… lâche mécaniquement Béatrice du bout des lèvres, la bouche tremblante, dominant péniblement sa panique, impressionnée par cette étrange rencontre qu’elle détaille d’un regard dérouté avec une certaine appréhension..

            - Vous vous êtes donc perdues dans le brouillard… poursuit la femme au grand manteau, en les enveloppant de ses yeux noirs au regard froid.

            Durant ce bref examen silencieux, un sentiment d’insécurité s’est emparé des deux sœurs, visiblement mal à l’aise. Le regard intense que cette inconnue a posé sur elles, a quelque chose d'inhabituel, de stressant. Elles ont senti que ses yeux d’ébène les scrutaient au plus profond d'elles-mêmes.

            - La sortie n’est pas bien loin. Je vais vous guider. Je connais parfaitement les lieux… déclare-t-elle sur un ton aux inflexions des moins engageantes.

            Puis, sans rien ajouter et d’un geste approprié, l’étrange inconnue les a enjointes à la suivre …

           Et c’est submergées par une vague d’inquiétude, que les deux adolescentes, au bord des larmes, se sont senties dans l’obligation d’obtempérer.

            Le brouillard s’est encore épaissi, pour se transformer en un coton opaque. Déambulant de tombes en tombes, sans avoir échangé la moindre parole avec leur énigmatique guide, elles ont parcouru une cinquantaine de mètres. Des sépultures anciennes, à moitié écroulées, mangées par le lierre ou couvertes d'une végétation extravagante, voisinent avec des chapelles et des caveaux, inspirés des architectures les plus farfelues. Mais voici que l’inconnue au grand manteau vient de quitter l’allée qu’elles avaient empruntée, engageant les jeunes filles à la suivre. Elle s’est dirigée vers un mausolée en granit noir ornée de mosaïques. Trois anges déchus en pierre de taille, paraissant se livrer à des occupations étranges et inquiétantes, semblent en interdire l’accès. Ils incarnent visiblement le mal absolu, comme autant de divinités déchues appartenant à l’aspect obscur de la création. Elle leur a désigné l’entrée du tombeau, dont la porte en fer s’est ouverte à leur approche dans un grincement des plus sinistres.

            - C’est ici qu’est ma demeure… déclare-t-elle le plus naturellement du monde d’une voix désincarnée, à la stupéfaction des deux adolescentes, brutalement précipitées dans un océan de stupeur paralysante.

            Béatrice, l’œil dilaté par une terreur sans bornes, a senti les doigts de sa sœur se crisper sur son bras en un mouvement de terreur ; tandis qu'une onde glacée a couru le long de son échine.

            - Il est extrêmement rare de recevoir des visiteurs en ces lieux à la naissance du crépuscule, et il est temps, à présent, d’entrer rejoindre les autres… ricane l’énigmatique créature féminine avec une ironie glacée dans le son de sa voix, en rejetant sa chevelure en arrière d’un brusque coup de tête. Puis, se saisissant des deux sœurs à l’aide de ses mains blanches aux ongles démesurés, comme s’ils n'avaient pas été entretenus depuis des lustres, elles les a entraînées à sa suite dans le tombeau qui s’est refermé derrière elles.

            Les hurlements de terreur des deux jeunes sœurs, étouffés et à peine audibles, se sont vite perdus dans les méandres de la crypte de la femme au long manteau.

            - Voici la triste histoire de deux jeunes adolescentes qui vous ressemblent et qui ont fait fi des conseils de leurs parents en sortant les nuits d’Halloween … sourit la maman des deux jeunes sœurs en refermant le livre du " Cimetière – de Stephan LEWIS ", avant de le déposer sur le rayonnage de la bibliothèque.

                            


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  • Ces êtres étranges
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    STEPHAN LEWIS écrivain de SF -
     
    Bienvenue à mes lecteurs ... Bonne lecture ...

        Légendes, mythes et faits mystérieux jonchent l'Histoire.  De nombreuses énigmes restent encore aujourd'hui non élucidées, malgré les progrès de la science. En effet, certains événements résistent à toute explication rationnelle.
          Dans notre ciel volent d'énigmatiques objets. Sur notre terre s'érigent des monuments dont nous ne connaissons pas la destination. Dans notre sol sont enfouies des constructions n'appartenant à aucune civilisation connue. Le mystère est partout et ni notre science, ni notre histoire ne peuvent lui apporter de réponse. Aujourd'hui encore, la question de l'apparition même de l'homme n'est pas encore élucidée. Nous ne savons finalement pas grand chose sur l’histoire de notre planète et donc la nôtre. Pour preuve, l'abondance des hypothèses émises un jour et aussitôt remises en cause le lendemain.
          Cela donne la mesure de notre ignorance, mais également de notre insatiable curiosité à trouver une explication logique à notre destin.

           Je vous souhaite une excellente visite de mon site à travers toutes mes histoires insolites et ces phénomènes de l'étrange, mais attention aux frissons !!!!!!!!!!!!!!

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    -  Le Manoir de la Terreur
    -  Le Cimetière
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    -  Le Manuscrit des Ombres
    -  Les Enfants des Etoiles
    -  Le Mystère de l'île des Géants
    -  Le Secret des Pierres d'Ica
    -  Les Sondeurs du Temps
    -  L'Empreinte des dieux (Le Livre de Dzyan)
    -  Les Prisonniers du Monde Perdu
    -  Sur la Piste du Graal

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  • Stephan LEWIS premier à gauche, lors de la sortie de :
     
    Les Sondeurs du Temps 
     
    Stephan LEWIS 

    Les Sondeurs du Temps

     

     

    RESUME -
     
         Le crâne de cristal découvert parmi les vestiges d'un temple maya au plus profond des jungles du Guatemala, va entraîner Dany Ballantine et le professeur Joseph Winter au sein d'une aventure fantastique. Mais ... gare au Golem, le gardien des Capsules du Temps, s'il faut en croire le mystérieux message laissé par un inconnu et la mise en garde des        Descendants de la Première Lumière.
         Un futur antérieur aurait-il déjà existé sur la planète Terre ?
         Toujours est-il, que nul ne peut soupçonner le drame qui guette les explorateurs de cette étrange et ténébreuse aventure, au sein de cette terre mystérieuse. Ils n'imaginent pas un seul instant qu'ils sont en passe de déclencher des événements terrifiants, visant à faire échouer la plus extraordinaire des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur existence.

    CHAPITRE  I

        
         - Professeur !  Professeur ! ... Venez voir  !
        
         L'invitation a été lancée par un homme jeune à la carrure athlétique, portant pour tout vêtement un simple pantalon de toile kaki. Il est coiffé d'une casquette à large visière et son torse musclé luit sous les rayons d'un soleil brûlant. Nous sommes quelque part dans le Peten, un territoire grand comme la Suisse, situé au plus profond des jungles tropicales du Guatemala. 
        
         Deux aras, grands perroquets grimpeurs, brusquement dérangés dans leur tranquillité, affolés et criards, s'envolent bruyamment vers les hautes branches en étalant la splendeur de leur plumage bleu et or, faisant lever la tête au personnage interpellé…  
        
         Ce dernier, qui accuse la soixantaine, se tient agenouillé près du fronton d'un temple maya, au milieu des vestiges de ce qui fut jadis une cité à présent enfouie et dévorée par la forêt tropicale. Il est occupé à déchiffrer des hiéroglyphes gravés sur une stèle prismatique en stuc de plusieurs mètres de hauteur, dont l'une des faces représente un personnage étrange et d'une taille démesurée. 
        
         Tout en tentant vainement de chasser une nuée de moustiques virevoltant en un nuage déplaisant, il s’est aussitôt retourné en direction de l'interpellateur, pour l'interroger du regard par-dessus ses petites lunettes cerclées d'acier qu'il porte en permanence sur le bout du nez.
        
         - Qu'y-a-t-il donc Dany ?  Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ?
        
         Sans répondre, le solide gaillard de 41 ans, aux yeux verts et cheveux noirs taillés en brosse, sujet de sa gracieuse majesté britannique à l'instar de son compagnon, ingénieur en électronique de son état et répondant au nom de Dany Ballantine, brandit un objet qu'il a déjà sommairement débarrassé de la gangue de terre et d'argile qui l'enveloppait.
        
         - Mais ... C'est un crâne humain que vous tenez entre les mains ! 
        
         - En effet professeur. A la différence prés, c'est que celui-ci  semble être en cristal.
        
         Tout en haussant les sourcils, le professeur Joseph Winter, éminent archéologue au front partiellement dégarni, portant pour la circonstance un chapeau de brousse à large bord et revêtu d'un léger pantalon detoile et d'une simple chemisette en coton, a épongé la sueur qui perle sur son front. Il s'est empressé de s'essuyer les mains sur sa chemise déjà maculée de poussière, dont le col largement échancré lui permet de supporter plus facilement lachaleur torride du climat tropical de l'Amérique Centrale, en cette journée du 12 septembre 1999.
        
         - En cristal dites-vous ?
        
         - Voyez vous-même professeur... propose Ballantine, qui s'est déjà approché en continuant de nettoyer son étrange trouvaille.
        
         Winter, qui s'est redressé, détaille aussitôt la pièce avec la plus vive curiosité. Les quatre Mexicains qui les assistent dans leurs fouilles et parlent leur langue, coiffés de l'inévitable sombrero à jugulaire de cuir, se sont avancés à leur tour.
        
         - Vous avez raison. On dirait bien du cristal !
          
         L'objet en question, qui vient maintenant d'être correctement nettoyé, s'avère être la réplique anatomiquement parfaite d'un crâne humain grandeur nature. Il s’agit certainement de celui d'un homme qui, à première vue, a été sculpté dans un seul morceau de cristal de quartz.
        
         - Quelle curieuse chose ! Regardez Dany ! Il est pourvu d'une mâchoire détachable et... de 31 dents !... s'étonne Winter, en constatant que l'une d'elles se rapportant à la partie postérieure fait défaut à la mâchoire.
        
         - Comme c'est étrange. Voyez professeur. L'emplacement de la trente-deuxième est pourtant prévu. Mais la cavité paraît volontairement vide, car il ne semble pas que l'on ait ôté l'une des dents. D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, les autres font partie intégrante de la mâchoire, tandis que l'espace prévu pour la molaire manquante n'a pas le même aspect. Il comprend une espèce de pivot. Et cette chose fait bien dans les cinq kilos, si je ne m'abuse !    
       
         - Sans aucun doute… acquiesce Winter… Ce qui me déroute, c'est que ce crâne ne semble pas présenter le moindre défaut ! Aucune marque d'un quelconque outil qui aurait pu servir à sa fabrication!
       
         - Il y a assurément des lustres qu'il est enfoui à cet endroit.
        
         - A ma connaissance, aucun de mes confrères n'a encore eu vent de ces ruines mayas en ces lieux  perdus. C'est une aubaine que d'avoir dégoté ce sanctuaire! Sans grand risque d'erreur, je peux m'avancer en déclarant que cet objet est certainement ici depuis un bon millier d'années. Ce qui est étonnant, c'est que nous l'ayons découvert au milieu de ces vestiges d'une ancienne civilisation maya.  
       
         - C'est à tous les coups le grand-père des boules de cristal... plaisante Ballantine avec un gloussement amusé.
       
         - Notre trouvaille va vraisemblablement faire plancher bon nombre de mes confrères. Ce crâne est une pure merveille. Aucun défaut apparent. Et comme je vous le disais, même en y regardant de près, il ne porte pas la moindre trace d'un quelconque outil ayant pu servir à sa création. C'est déroutant ! Nous pouvons sans aucun doute  prétendre que toute la technologie du XXème siècle serait dans l'incapacité totale de réaliser un travail aussi délicat, pour obtenir un résultat d'une telle perfection...  finit par déclarer le professeur, la mine dubitative, en manipulant l'objet qu'il examine avec une attention soutenue.  
       
         - Mais que !... s'étonne soudain Ballantine ... 
        
         L'un des quatre chicleros (forestiers mexicains) s'est aussitôt incliné pour ramasser le petit tube métallique qui vient de glisser du crâne de cristal, pour le remettre à Ballantine.
        
         - Un cylindre de métal !... indique machinalement Winter, dont le visage reflète à présent la plus vive surprise.   
        
         - Il y a un rouleau de papier gommé à l'intérieur. C’est un écrit, libellé je crois, en espagnol... mentionne Ballantine, après avoir déroulé le parchemin.
        
         Celui-ci, réduit à une simple bande de papier grossier, jauni et tout craquelé, d'une vingtaine de centimètres sur huit de largeur, a visiblement été rédigé d'une main malhabile et hésitante.
        
         - C'est bien de l'espagnol... confirme Winter, qui maîtrise parfaitement cette langue encore utilisée officiellement au Mexique.
        
         D'une voix chevrotante, il en entreprend la lecture après avoir correctement  rajusté ses petites lunettes ...
        
         - " Mexico ... le 8 juin 1882 ... Je suis porteur d'un message à l'intention de celui ou ceux qui découvriront le Crâne de Cristal ... Que Dieu me pardonne. Je ne peux que leur transmettre une mise en garde, car je suis porteur d'un terrible secret. Mon nom n'a guère d'importance ... Voici l'histoiredu Crâne de Cristal ...
        Tout a commencé deux ans plus tôt. Le 15 mai 1880. Je faisais alors partie d'un groupe d'aventuriers embarqués pour l'Amérique Centrale. Direction le Peten,la région la plus grande mais la moins peuplée et la plus inhospitalière du  Guatemala, où nous partions à la recherche de la civilisation perdue de l'Atlantide... 
        Après plusieurs jours d'une marche harassante à travers la jungle, nous découvrîmes ces lieux par hasard, vestiges d'une cité secrète construite jadis par les Mayas.
        Nous nous attelâmes aussitôt à l'exploration du site.

        C'est en creusant sous l'autel du temple, que nous mîmes à jour le Crâne de Cristal, certainement enterré depuis des millénaires à cet endroit. J'ignorais alors que nos existences allaient s'en trouver à ce point bouleversées, et que ma vie et celle de mes infortunés compagnons s'en trouverait menacée. Sachez tout d'abord qu'en ce qui vous concerne, il n'est pas trop tard pour inverser les éléments terrifiants et irréversibles qui ne vont pas tarder à se déchaîner dans votre entourage et auxquels je n'y puis malheureusement rien. Vous êtes en possession du Crâne deCristal, révélateur d'un terrible secret, s'il faut en croire la Confrérie des Descendants de la Première Lumière. Si vous ne le replacez pas immédiatement à l'endroit où vous l'avez trouvé,  vous allez à votre tour réveiller le Golem, le Gardien des Capsules du Temps. Mes révélations vont certainement vous paraître fantaisistes, mais votre vie est d'ores et déjà en  danger si vous n'accordez aucune attention à cet avertissement. Le Golem, cette créature maléfique, est programmé pour intervenir et anéantir celui ou ceux qui se seront emparés du Crâne de Cristal.
      
      Mes sept compagnons en ont fait la triste expérience, pour avoir été, les uns après les autres, exterminés en moins de quelques jours. Les personnes ayant été en contact avec le crâne, ont été confrontées par la suite à des événements bizarres et horribles ou à d'inexplicables et étranges phénomènes. Je suis maintenant conscient que cette monstruosité est sur mes traces, restant le seul et malheureux survivant de cette triste et pour le moins étrange aventure. Aussi, avant d'en finir, me reste-t-il  de tenter d'apaiser la colère du Golem,  en replaçant le crâne à l'endroit exact où nous l'avons trouvé, sous l'autel du temple.
        Je ne sais si je survivrai à cette dramatique aventure, car il est assurément trop tard ... Que Dieu vous garde ..."

        
         Winter, tout en pinçant légèrement leslèvres, leur signifie que le texte du message s'arrête ici.   
         
         - Si c'est une plaisanterie, je la trouve plutôt d'un goût douteux!... ricane Ballantine en haussant les épaules, tout en esquissant un sourire amusé.
         
         - Et si l'auteur de ce message était sérieux ?... relève le professeur avec une moue circonstancielle, regardant son ami par-dessus ses besicles, laissant néanmoins penser qu'il n'en gobait assurément pas un traître mot.
         
         - Et cette menace viendrait d'un ... golem ! … Si l'on se réfère à la légende, le golem serait une créature artificielle à forme humaine, constituée essentiellement d'argile. Difficile d’admettre qu'une telle chose puisse s'en prendre à qui que ce soit ! A moins de rêver tout haut... raille Ballantine avec un rire étouffé, en se vrillant l'index sur la tempe.
       
         - Dans la Bible, le mot golem est employé à propos d'Adam, lorsqu'il est encore sans forme et que le souffle divin nel'a pas encore atteint... complète Winter en se grattant ce qui lui reste de cuir chevelu... Le golem réapparaît dans la mythologie juive et en Europe Orientale, pour semer la mort et la désolation. Des puissances invisibles l'habitent et l'animent. Il est comme guidé par une volonté extérieure démoniaque.
       
         - Que décidez-vous professeur ? On emmène ce truc ou ... on le remet vivement en place ?...  taquine Ballantine, en adressant un clin d'œil aux métis qui assistent à la conversation, un sourire narquois naissant à la commissure des lèvres, anticipant déjà intérieurement la réponse de son ami.
       
         - Une pièce d'une telle rareté !  Vous plaisantez ! Ce serait un crime envers l'archéologie que de dédaigner ce que le hasard a bien voulu nous offrir ! Je voudrais bien voir ça !...  se défend sans aucune retenue Winter, en fourrant vivement l'objet dans son havresac sous l'œil amusé de Ballantine et des quatre Mexicains, qui n'ont pu retenir un rire étouffé.
       
         Le soleil se couche déjà sur l'horizon. La chaleur s'est tout à coup faite moins accablante et d'autant plus supportable, et il a été décidé de regagner le campement. Celui-ci, réduità trois tentes légères, dont une compartimentée pour la servitude, a été installé à une vingtaine de mètres du site, auxabords d'une petite clairière perdue dans l'immense forêt vierge. C’esten son centre que s'estposé la veille le petit hélico pilotépar Ballantine, loué pour quelques jours en même temps que le matériel de camping à Florès, la capitale dudistrict du Peten. 
       
         Les Mexicains ont allumé un feu et l'un d'eux retourne d'une main experte les steaks sur le grill. Ballantine s'est installé auprès du professeur qui, à l'aide d'une puissante lampe torche, inspecte à présent et minutieusement chaque détail de leur énigmatique découverte. Maintenant qu'ils l'examinent en pleine lumière, l'objet présente toutes les caractéristiques d'un crâne véritable. Il se révèle être on ne peut plus finement ouvragé, reflétant un mélange de travail artisanal de haute précision, technique requérant au moins trois cents ans d'efforts humains, ce qui déroute totalement le professeur. Alors que celui-ci poursuit méticuleusement son inspection, Ballantine, qui jette machinalement un coup d'œil sur le crâne, a brusquement senti ses pulsations s'accélérer … Son compagnon en laisse même choir la courte pipe en écume qu'il tenait entre les dents.
       
         - Mais ... Qu'est-ce que c'est encore que !... s'effare Ballantine en écarquillant les yeux.
        
         - Il me semble que cela vient de l'intérieur du crâne !...balbutie Winter.
        
         Stupéfaits, tous deux constatent que les orbites viennent de s'allumer pour s'éteindre presque aussitôt, lorsque le professeur, aussi déconcerté que son compagnon, a vivement éteint la torche dont le faisceau de lumière inondait l'intérieur de l'objet.
       
         - Cette chose semble contenir une quantité phénoménale d'énergie !... murmure encore Winter, l'air ahuri.
        
         - Cela se pourrait... relève Ballantine... Mais les yeux se sont éteints aussitôt que vous ayez cessé d'éclairer l'intérieur du crâne. J'imagine qu'une partie du palais doit jouer le rôle d'un prisme. Lorsqu'une source lumineuse, tels les rayons de votre torche en l'occurrence, est placée sous le crâne, le prisme projette la lumière vers le haut et à travers les yeux. 
       
         Comme pour accréditer sa version des faits, le même phénomène se reproduit aussitôt, Winter ayant rallumé sa torche et l'ayant placée de nouveau sous l'objet. Les rayons lumineux convergent vers les orbites en une lueur diffuse et intense.
        
         - Vous voyez !  C'est étonnant, mais c'est bien ce que je pensais... conforte Ballantine, toutefois aussi dérouté que son compagnon ; lequel paraît on ne peut plus impressionné par la facture de l'objet.
       
         - La complexité de ce montage optique doit certainement servir à quelque chose... finit par admettre ce dernier, de plus en plus intrigué par l'étrangeté du phénomène.
       
         - Un peu de patience professeur. Je crois que nous avons la réponse à votre question. Nous n'allons pas tarder à être fixés... murmure Ballantine, le regard rivé sur le crâne de cristal, dont le rayonnement s'est brusquement accentué ; tandis qu'à leur plus profond désarroi, une aura brillante et verdâtre entoure à présent l'objet.
       
         Le spectacle hallucinant qui prend alors forme sous leurs yeux, est tellement insolite qu'ils en restent un court instant déconcertés et abasourdis … Une image floue, mais en trois dimensions, semblant en suspension à quelques mètres du sol, comme projetée par un puissant rayon lumineux sur un écran invisible, émane à présentdes orbites du crâne.  
       
         - Nom d'une pipe, une projection holographique !... s'effare le professeur, bouche bée, en se tamponnant le front à l'aide d'un mouchoir, tandis que les Mexicains, stupéfaits, ont cessé toute activité. 
       
         Ballantine, sans souffler mot, s’est passé une main ouverte dans sa courte brosse en ayant un froncement de sourcils.
        
         Les lueurs de l'image en relief projettent à présent d'étranges reflets sur la toile des tentes, tandis que l'hologramme paraît de plus en plus net.
        
         Winter et Ballantine l'ont immédiatement interprété …
         
         - La configuration de notre système planétaire!... commente ce dernier en échangeant un regard éberlué avec le professeur.
         
         Ils assistent alors à la lente apparition des neuf planètes du système solaire, qui se positionnent successivement et exactement à la place qu'elles occupent par rapport au Soleil. La quatrième, immédiatement reconnaissable en raison de sa couleur orangée, s’est subitement désolidarisée du système. Elle paraît à présent en gros plan, tandis que le cortège des huit autres s'estompe progressivement, laissant exclusivement la planète rouge envahir l'écran qu'elle traverse d'une seule traite en diagonale.
       
          - Mars !... commente machinalement le professeur en se tournant vers son ami.  
       
         Les six hommes, effarés, observent à présent l'étrange balai qui se déroule sous leurs yeux, sans plus de commentaire. Un serpent est maintenant représenté aux côtés de la planète rouge. Puis, bien que la lampe du professeur soit toujours en action, l'hologramme a brusquement disparu, comme une bulle de savon qui éclate.
       
         - C'est incroyable ! Cette œuvre d'art a bien emmagasiné des énergies qu'elle est à même de restituer sous formes d'images holographiques ! C'est vraiment stupéfiant !... souffle Ballantine.
         
         - Mon cher Dany, je crois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises ... Cet objet ne peut de toute évidence être apparenté à tout ce qui touche de près ou de loin la civilisation maya et sa présence en ces lieux m'intrigue. Les images holographiques de notre système solaire sont d'ailleurs là pour en témoigner !... résume pensivement Winter… Les Mayas n'avaient incontestablement pas à leur portée la technologie nécessaire à la démonstration à laquelle nous venons d'assister... souligne-t-il encore, visiblement tracassé.
       
         - Cette chose est peut-être atterrie ici par hasard et l'auteur de ce message ignorait certainement la véritable origine du crâne... hasarde Ballantine.
       
         - Venez voir !... le convie alors Winter en se dirigeant sans plus attendre vers le site, après avoir rallumé sa torche, l'obscurité commençant progressivement à envahir les lieux... Lorsque vous m'avez interpellé tout à l'heure, j'étais occupé avec ceci... confie-t-il encore en éclairant la stèle de tuf prismatique qui s'élance devant l'édifice à plus de sept mètres de hauteur sur deux de large, légèrement effritée et encore toute couronnée de broussailles et d'arbustes.Sur sa face est représenté le portrait stylisé d'un colosse, dont la taille frise les trois mètres. La silhouette générale est anguleuse et la tête carrée est surmontée d'antennes. Les jambes sont droites et rigides comme des échasses.
       
         Ballantine a haussé les sourcils ...
        
         - A quoi cela vous fait-il penser ?... demande alors à brûle pourpoint Winter, en se caressant pensivement le menton.
       
         Après quelques secondes de réflexion, tant la chose semble incroyable et se grattant l'oreille d'un air perplexe …
       
         - Vous allez certainement rire professeur, mais j'opterais pour ... disons ... un robot… risque Ballantine, d'une voix hésitante.
       
         - C'est justement ici que le bât blesse Dany … Je pense effectivement qu'il s'agit là de la représentation d'un robot. Mais ce n'est pas terminé. Suivez-moi !... Et il s'arrête aussitôt devant une seconde stèle aux dimensions plus modestes, sur laquelle est cette fois représenté un personnage habillé, dirait-on, en cosmonaute. 
       
         - Bon sang ! Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Où voulez-vous en venir professeur ?...  s'étonne Ballantine, visiblement intrigué, mais certainement impatient d'en apprendre davantage
       
         - Je dois vous avouer que j'ignore totalement où nous avons mis les pieds Dany. Ces ruines sont certes d'origine maya. Mais comme vous venez de le constater, certains de ces glyphes hors du temps sont autant d'indices, autant de témoignages, qui illustrent et tendent à démontrer à l'évidence qu'il y a eu également en ces lieux une présence ou tout au moins une manifestation autre que la civilisation maya. La mise à jour de ce crâne de cristal avec ce qu'il contient nous amène à la conclusion suivante : Nous venons indubitablement de découvrir les signes d'une ancienne présence pour le moins en avance sur son temps. J'irai même jusqu'à prétendre que tout cela porte à croire qu'un Futur Antérieur ait déjà existé quelque part sur cette planète !
     
     
     CHAPITRE II
     
     
         Le lendemain ... 8 h du matin ...
               
         Ballantine et Winter prennent leur petit déjeuner à l'abri des rayons d'un soleil brûlant déjà haut dans un ciel bleu azur. Leur conversation est essentiellement axée sur le déroulement des derniers événements et concernant bien entendu leurs étranges découvertes de la veille. Ils se sont attardés sur le message contenu dans le Crâne de Cristal.
       
         - Ce type aurait donc monté une seconde expédition depuis Mexico, uniquement dans le but de remettre le crâne à sa place sous l'autel du temple, afin de tenter d'échapper à la colère de ce prétendu golem !... souligne Ballantine, la mine perplexe.
       
         - Et ce terrible secret dont il est question ! Que veut-il dire par-là ?... rappelle Winter en avalant sa tasse de thé à petites gorgées.
        
         - Cet avertissement lui aurait été adressé par la Confrérie des Descendants de je ne sais plus quoi au juste. Mais je suppose qu'il a eu, comme nous, accès à l'image holographique de notre système solaire... imagine Ballantine en terminant son bacon.
       
         - Il est également question dans son message de Capsules du Temps ! Et si nous voulons en croire cette personne, le golem en serait le Gardien !... complète Winter, qui s’est redressé en se tamponnant les lèvres, son petit déjeuner étant achevé.
       
         - Nous ne sommes ici que depuis hier et nous avons, comme on dit en France, du pain sur la planche.. présume Ballantine en quittant la table à son tour.
     
        10 h 25 ...
     
         Ballantine et Winter dégagent de la végétation qui l'a envahie, une stèle sur laquelle sont représentées huit des neuf planètes de notre système solaire, situées exactement à la place qu'elles occupent effectivement par rapport au soleil.
       
         - Vous voyez Dany, l'énigme s'épaissit encore... observe le professeur en soufflant  légèrement sur la roche, afin d'éliminer la légère couche de poussière qui la recouvre...  Cette représentation de notre système stellaire est on ne peut plus fidèle, mais la question demeure la suivante : De qui les habitants de cette petite cité tenaient-ils ces connaissances astronomiques ?
       
         - Et ici ! Cette gravure représente un serpent comme sur l'hologramme ! Ces dessins sont sans aucun doute possible en rapport direct avec ce que nous a révélé le crâne de cristal... ajoute pensivement Ballantine.
       
         - Depuis l'antiquité, le serpent a toujours été le symbole de l'immortalité. Il est indéniablement lié à la représentation figurative d'apparitions cosmiques... remarque le professeur... De plus, chez les Mayas, le serpent était également le symbole de la maîtrise des airs.
       
         - Mais pourquoi diable est-il représenté ici seulement huit des neuf planètes du système solaire ?... observe judicieusement Ballantine.
        
         - Il faut croire que, bien que la figuration de la position de toutes les planètes soit curieusement et scrupuleusement respectée, les Mayas ou les habitants de cette mystérieuse cité ignoraient certainement l'existence de la neuvième ... Peut-être manque-t-il la dernière, Pluton... imagine naturellement Winter, en tirant nerveusement plusieurs bouffées d'affilée de sa courte pipe en écume, la tête entourée d'un nuage de fumée.
       
         - Justement non professeur, et c'est bien ce qui m'intrigue !... se presse de corriger Ballantine, visiblement incommodé par les miasmes tabagiques de son ami, lui faisant même comprendre la gêne ressentie et son incommodité à force de gestes appropriés à chasser le panache de fumée qu'il vient d'engendrer... Regardez !… Si l'on part du soleil, nous avons bien Mercure. Mais aussitôt, aux lieux et place de Vénus il y a, si je ne m'abuse, un espace inoccupé.  Car voici la Terre, puis Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et enfin la dernière ... Pluton.
       
         - Mais ... Pourquoi avoir omis d'y faire figurer Vénus ?...  s'étonne cette fois Winter, l'air dubitatif et se caressant machinalement le menton... D'autant plus qu'ils n'étaient pas sans connaître son existence ! Elle était pour le peuple maya l'objet d'un véritable culte. La plupart de leurs pyramides sont d'ailleurs dédiées à l'étoile du berger !  Je vous avoue que j'y perds mon latin.  
       
         - C'est ma foi fort curieux en effet.
        
         De nouvelles stèles et dessins découverts sur les murs du temple, représentent soit des personnages revêtus d'une combinaison de cosmonaute, on ne saurait s'y tromper, soit des engins volants. La plupart sont en forme de disques. Certains sont même équipés d'antennes.
       
         - C'est fantastique !... s'émeut encore Winter... Il n'y a plus aucun doute. Si ce sont bien des Mayas qui résidaient dans cette cité et si c'est bien eux qui sont les auteurs de tous ces témoignages, nous avons ici la preuve formelle qu'ils ont été, à un moment donné, en contact avec les représentants d'une civilisation plutôt en avance sur son temps.
       
         - Autrement dit, avec des êtres originaires d'un autre monde... anticipe Ballantine.
        
         - Ma foi, je ne sais que penser. Mais si nos suppositions s'avéraient exactes, et nous sommes assurément sur la bonne voie pour le prouver, la découverte de ce site sera incontestablement l'événement archéologique le plus extraordinaire de tous les temps... souligne le professeur, bouleversé, en épongeant la sueur qui lui dégouline sur le front.
       
         - J'ai la ferme conviction que si nous poussons plus loin nos investigations, nous ne sommes pas au bout de nos surprises... gage Ballantine avec un enthousiasme non dissimulé.
       
         - Regardez les gravures sur ce mur Dany. Elles représentent Quetzalcoatl le Serpent à plumes, que les Mayas appelaient aussi Kukulcan. C'est le plus grand dieu du panthéon maya et aztèque. Il incarne justement la personnification de la planète brillante. Il paraît s'agenouiller devant l'apparition d'une comète. Comme c'est étrange... s'émeut encore Winter.
       
         Deux reproductions de la voûte céleste gravées sur le plafond du temple leur offrent à présent une nouvelle et non moindre énigme ... Les points cardinaux sont placés correctement sur l'une, tandis qu'ils sont renversés sur l'autre, comme si la Terre avait subi un choc, comme si elle s'était retournée lors d'un cataclysme cosmique. Mais l'un des chicleros vient de pénétrer à son tour à l'intérieur de l'édifice. Il leur signifie que ses compagnons ont mis à jour quelque chose susceptible de les intéresser. 
       
         Les Mexicains ont déterré trois tablettes de pierre qu'ils sont en train de débarrasser sommairement de la mousse qui les recouvre. Le professeur exulte et trépigne sur place, tant il bouillonne d'impatience. Il a, comme d'habitude et en de telles circonstances, eu le réflexe de rajuster ses petites lunettes sur le bout de son nez, comme pour mieux distinguer les glyphes gravés dans la pierre.
       
         Après avoir déchiffré quelques lignes de la première tablette, il marque aussitôt une pause, en proie au plus vif désarroi…  
       
         - Inouï ! C'est tout à fait inouï !... Ces textes ont rapport au déluge ! Vous vous rendez compte !... rapporte-t-il d'une voix enthousiasmée et  brisée par l'émotion.
        
         - Si je ne m'abuse, ce légendaire désastre se serait produit il y aurait environ douze mille ans ... se remémore rapidement Ballantine.
        
         - En fait, nul ne sait exactement à quel moment de l'histoire de l'humanité s'est produit le cataclysme universel. Vouloir déterminer la date de la titanesque catastrophe qui détruisit la presque totalité du genre humain, est sans aucun doute une tentative bien téméraire... souligne le professeur en affichant une moue de perplexité... C'est extrêmement curieux... poursuit-il en revenant vivement sur les caractères hiéroglyphiques de la première tablette, devant les mines interrogatrices de Ballantine et des quatre métis qui se sont regroupés autour de sa personne... On peut en fait interpréter ce texte comme une prophétie. Tout d'abord, on nous décrit ici les circonstances du déluge. Mais il est affirmé en outre et je traduis, qu'après la naissance du sixième soleil, peut-être est-il question d'une succession d'éclipses … Donc, après la naissance du sixième soleil disais-je, ces écrits précisent que les Maîtres des Etoiles ou Messagers du Destin doivent revenir. Si on se fie à ce calendrier, ce serait, tenez-vous bien, avant la fin de ce millénaire. Soit la période inaugurée par l'éclipse de 1999. En septembre de l'année où nous sommes, plus exactement. Il est également dit qu' au cours de l'ère du sixième soleil, tout ce qui est enfoui sera découvert. La vérité sera la semence de la lumière. Et les fils du sixième soleil voyageront à travers les étoiles.
       
         - Si c'est une prophétie, elle nous annonce clairement la venue prochaine d'extraterrestres sur la Terre... sourit Ballantine, manifestement peu enclin à suivre son ami sur ce terrain.
        
         Winter s'est approché de la seconde tablette. Prenant assise sur ses talons, la tête entre les mains, il ne cesse de lire et relire l'inscription millénaire qui y est gravée...
       
         - Ce texte a encore rapport au déluge… enchaîne-t-il au terme de quelques secondes… Il est dit que  le ciel se rapprocha de la Terre et que tout périt en un seul jour. Même les montagnes disparurent sous les eaux. Ces écrits décrivent la disparition du monde d'une façon imagée. Regardez Dany, ce que vous voyez ici représente encore un serpent installé dans les cieux et déversant de sa bouche des torrents d'eau. Quant à ces différents signes, ils indiquent des éclipses de la Lune et du Soleil. Cette gravure figure la déesse de la Lune, maîtresse de la mort. Comme vous pouvez le constater, elle est représentée ici sous un aspect terrifiant. Elle tient entre les mains une coupe renversée de laquelle coulent des flots destructeurs.
       
         Nom d'une pipe ! Ce qui est décrit ici, dans la troisième tablette, est tout simplement effarant !... s'exclame le professeur, subitement en proie à la plus vive stupeur... Les deux premières tablettes reprennent en fait certains détails du Livre Sacré des Mayas du Guatemala, le Popol Vuh. Ce qui me surprend, c'est que jusqu'ici les origines du déluge n'ont jamais vraiment pu être expliquées et encore moins élucidées. La science ne connaît toujours pas de causes qui auraient pu engendrer une secousse telle, que l'axe terrestre en aurait été à ce point ébranlé. Mais si ces écrits s'avéraient exacts, ce qui est dit ici nous fournirait la réponse à cette énigme. C'est tellement incroyable !... poursuit Winter en se tamponnant nerveusement le visage à l'aide de son mouchoir.
       
         - Remettez-vous professeur !... sourit Ballantine d'une voix amusée, en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.
        
         Semblant ignorer la remarque et évitant de faire mentir plus que de raison son enthousiasme, l'intéressé n'en poursuit pas moins ses commentaires d'une voix chevrotante…
        
         - C'est bien la première fois qu'un texte maya donne de telles précisions sur les causes du cataclysme universel ! Il est encore dit ici que cette catastrophe n'aurait pas concerné que notre planète … Ce fut un bouleversement cosmique aboutissant à un réalignement des astres de notre système solaire. Les planètes modifièrent leur trajectoire. La grande harmonie de l'univers et de la nature en fut ébranlée. Voilà, tout est expliqué ! Le déluge aurait eu pour origine l'attraction exercée par un astre encore inconnu et pénétrant dans notre système solaire ... Sa force cosmique aurait déclenché un immense raz de marée. Les eaux du globe se seraient alors soulevées, pour ensuite refluer avec l'éloignement de ladite planète en question, déposant ici et là les restes de faune et de flore dont on a d'ailleurs découvert des traces inexplicables dans différentes régions du monde... se presse de préciser Winter. (véridique).
       
         - En fait, cela semble tout à fait plausible professeur. La seule force capable de provoquer des bouleversements de cette ampleur pourrait effectivement avoir été celle produite par un corps céleste de grande taille passant à proximité de la Terre... relève Ballantine d'un air songeur.
        
         - Tout à fait Dany. D'ailleurs, bien que l'on n'ait pas encore élucidé la question, il a toutefois été envisagé qu'une collision avec un immense météore aurait pu provoquer le cataclysme atlantéen, certainement lié au désastre universel. Nous savons que l'attraction lunaire, par exemple, est à l'origine du phénomène des marées. Comme vous le faites si judicieusement remarquer, l'arrivée de cet astre dans le système solaire aurait pu provoquer un déséquilibre de la planète. En déplaçant de quelques degrés son axe de rotation tout en exerçant une énorme pression sur l'écorce terrestre, l’incident aurait entraîner les inondations et déluges que l'on retrouve dans les légendes de tous les peuples à la surface du globe. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que, d'après les écrits mayas, cet astre ne serait autre que ... tenez-vous bien ... la planète Vénus !
       
         - Vénus !... Ce serait assurément extraordinaire professeur ! Mais celle que l'on connaît plus communément sous l'appellation d'étoile du berger étant donné son éclat nocturne, a toujours fait partie de notre système solaire ! Aucun doute n'a jamais été émis à ce sujet que je sache !... stipule Ballantine, la mine perplexe.
       
         - C'est en tout cas ce qui est prétendu ici. Vénus serait en fait originaire d'une autre galaxie que notre Voie Lactée. Elle serait entrée dans notre ciel avec l'apparence et les effets maléfiques d'une comète. Elle aurait provoqué l'embrasement du globe et le déluge universel, avant de s'installer définitivement sur l’orbite que nous lui connaissons. Après voir frôlé la Terre, elle aurait anéanti la presque totalité de l'humanité.
       
         - Si le fait s'avérait exact, ce serait alors la raison pour laquelle il n'était représenté que huit des planètes du système solaire sur le monument que nous avons découvert. Vénus aurait été volontairement omise... réalise Ballantine, la mine réfléchie. 
       
         - Et la comète devant l'arrivée de laquelle est prosterné Quetzalcoatl, serait donc l'Etoile du Berger ! Cette planète a toujours fait l'objet d'un véritable culte dans la civilisation maya. C'est elle qui régissait leur religion. D'ailleurs, comme je vous le disais, la plupart des pyramides mayas lui sont dédiées. On ignorait jusqu'ici quelles en étaient les raisons. Les Mexicains en ont même conservé la tradition. On a en effet constaté de nos jours, que de nombreux édifices comme le palais du Gouverneur à Uxmal au Mexique, étaient alignés et disposés en fonction du lever et du coucher de l'étoile du berger. Toujours est-il que vous pouvez être assuré que notre découverte va certainement ébranler et déranger le monde bien ordonné de nos astrophysiciens et soulever bon nombre de controverses... confie le professeur, on ne peut plus enthousiasmé.
       
         - Je reviens sur ce qui est écrit sur la première tablette, où il est question du retour des Maîtres des Etoiles. Est-ce que cette prophétie signifie quelque chose pour vous professeur ?... s'enquiert Ballantine, songeur.
       
         - Eh bien voyez-vous Dany, incidemment, la tradition populaire maya parle d'une promesse faite par " les Fils du Ciel " de revenir dans douze mille ans. Soit, comme le précise en effet ces écrits, à notre époque. Et plus précisément d'ici peu s'il faut en croire ce qui est dit ici et si nous devons nous fier à la légende. Ces Fils du Ciel seraient leurs ancêtres de l'Atlantide, dont la civilisation n'avait, toujours d'après la légende, rien à envier à la nôtre. Bien au contraire.
       
         - En tout cas, le type qui a laissé ce message a tout de même eu une part de chance non négligeable !... Il prétend être parti à la quête du continent perdu de l'Atlantide, et découvre comme nous, par hasard, cette ancienne cité maya dont vous me dites professeur que les ancêtres pourraient  justement être les Atlantes !
       
         -  C'est ma foi exact. Mais ce qui relève du domaine du fantastique, voire de l'incroyable dans cette histoire, c'est le fait que la population d'un site maya semble avoir fait l'objet d'un contact avec une civilisation avancée. J'en suis à présent pratiquement convaincu Dany. Les habitants de ces  lieux ont reçu la visite de cosmonautes venus d'une autre planète. Ou ils ont été directement en contact avec des Atlantes. Mais cette hypothèse relève bien évidemment du domaine de l’impossible... murmure-t-il encore, comme pour lui-même.
       
         - Toujours est-il que la découverte que nous avons faite sur l'hypothétique arrivée de Vénus dans notre système solaire, ne concerne en rien le terrible secret dont ce type parle dans son message. Mais peut-être allons-nous finir par découvrir quelque chose en rapport avec ce que prétend ce curieux personnage ... imagine Ballantine en se passant machinalement une main ouverte dans les cheveux.
     
     
     *          *
     
     
         La fin de la journée approche. Le soleil commence à fléchir sur l'horizon. Bien que depuis quelques heures l'atmosphère se fasse lourde et orageuse, il ne pleut toujours pas. L'air est de plus en plus chaud, figé, comme si la nature était en suspens. Ballantine et Winter ont encore découvert de nouvelles preuves renforçant leurs convictions, quant à la visite d'hypothétiques visiteurs de l'espace faite aux habitants de cette mystérieuse cité en des temps très reculés. Ils n’ont cependant pu déceler la moindre analogie avec la mise en garde du parchemin adressée par l'énigmatique personnage à l'intérieur du crâne de cristal, ayant trait au terrible secret auquel il est fait allusion. 
       
         Mais leur attention est brusquement attirée par les Mexicains … Ces derniers viennent de dégager une dalle triangulaire enfouie sous l'humus au centre du temple, dont l'atmosphère ambiant s'avère humide et mal aéré, la lumière n'y pénétrant que par d'étroites lucarnes. Ballantine, avec l'aide de l'un des forestiers, décide aussitôt de faire éclater un petit espace rempli de chaux et de cailloux à l'aide d'une barre à mines. 
       
         Poussé par la curiosité et sous l'œil attentif et combien impatient du professeur qu'une sorte d'excitation sourde pince le cœur, Ballantine s'est agenouillé sans plus attendre, pour coller un œil contre l'ouverture en éclairant partiellement les lieux avec sa lampe-torche. Il en reste aussitôt muet durant quelques secondes … Winter, qui ne peut contrôler son état d'énervement, le presse de questions, réprimant même difficilement quelques mouvements d'impatience.
       
         Ballantine vient de se redresser. Il lui décrit alors une grande salle voûtée aux murs décorés de reliefs en stuc, au centre de laquelle trône un énorme bloc sculpté qui la remplit presque entièrement.
       
         Sans plus attendre, ils ont déplacé la lourde dalle condamnant la crypte.  
       
         Une vingtaine de marches aux degrés usés et patinés par le temps y descendent.
        
         Ballantine, suivi du professeur, emprunte aussitôt l'escalier de pierre qui s'enfonce à une douzaine de mètres sous le temple, où règne l'obscurité la plus totale. Leurs torches électriques, dont la lumière a fait fuir précipitamment un iguane, accrochent aussitôt le grand bloc,dont les côtés sont sculptés d'une douzaine d'étranges personnages. Il repose sur huit supports, ornés eux aussi d'étonnantes sculptures. 
       
         A leur plus vive stupéfaction, l'œuvre décorée en bas-relief représente une grande composition du cosmos. On y voit distinctement un être humain assis aux commandes d'un véhicule spatial, la partie supérieure du corps penchée en avant, comme celle d'un coureur motocycliste. En arrière de la proue pointue de l'engin qui est représenté, de curieuses entailles cannelées figurent des lumières d'admission. Puis le tout s'élargit et sa queue se prolonge par un jet de flammes.
       
         N'importe quel enfant d'aujourd'hui comparerait sans aucun doute possible l'engin dans lequel il est installé à une fusée. L'être représenté à l'intérieur de l'habitacle est vêtu de pantalons moulants tenus par une large ceinture, d'un blouson dont l'encolure dégage la nuque, très ajusté sur les bras et les jambes. Il porte un casque muni d'un tube et sur le sommet figure quelque chose ressemblant à une antenne. L'astronaute - car c'en est manifestement un - est non seulement penché vers l'avant, mais il regarde avec attention un objet suspendu devant son visage. Ses mains paraissent occupées à manipuler des commandes, la droite semblant procéder à un réglage précis, la gauche tenant un levier. Le talon gauche repose sur une sorte de pédale à plusieurs crans, comme une commande au pied. Derrière le pilote, on reconnaît sans difficulté le réacteur nucléaire. Deux atomes sont même représentés schématiquement sans aucun risque d'erreur, probablement un atome d'hydrogène et un atome d'hélium. Chose importante, la traînée du réacteur est  représentée à la queue du vaisseau, brisant la ceinture de glyphes qui court autour du bas-relief chargé de caractères cette fois indéchiffrables par le professeur, qui s’est contenté de prendre une série de clichés à l'appui de quelques notes. Les Mayas paraissent avoir laissé ici le portrait de leurs "messagers du ciel". Ce relief dans la pierre est bourré d'indications techniques incompréhensibles et le professeur vient de se pencher sur des glyphes courant sur la pierre.
       
         - Les dieux mayas, si l'on en croit ce texte, vinrent des étoiles, communiquèrent avec les étoiles et retournèrent aux étoiles après avoir séjourné sur Terre... rapporte-t-il avec une moue circonspecte. 
       
         Une monumentale arcade en pierre soutenue par deux colonnes serpentiformes, la gueule au niveau du sol, le corps constituant le fût et la queue soutenant le linteau, s'ouvre sur une seconde salle. Elle présente des innovations architecturales tournant presque toutes autour du thème du Serpent à Plumes. Au fond s'élève une pyramide à cinq ou six mètres du sol. Chacune de ses faces représente des corps de serpents, dont les têtes humaines reposent au pied de l'édifice.
       
         Des sculptures, disséminées aux quatre coins, figurent toutes des créatures serpentiformes, soit à têtes bestiales, soit à têtes humaines, représentées dans différentes positions. Un reptile encore plus énorme que les autres trône dans une attitude hiératique. A ses côtés, des personnages à têtes de serpents, vêtus d'un vêtement pour le moins futuriste, l'entourent et semblent l'acclamer. Certains sont des sauriens complets, d'autres, moitié humain, moitié reptile. Les gravures murales sont remplies d'annotations mystérieuses.
       
         - Qu'est-ce que tout cela veut dire ?… s'émeut le professeur d'une voix rendue rauque par l'émotion, visiblement déconcerté.... Regardez Dany. Toutes ces sculptures et ces bas-reliefs sont dédiés à la gloire, dirait-on, d'un roi ou d'un dieu serpent !
       
         Miguel, l'un des deux métis qui les ont rejoints, vient de pousser un cri, assorti d'une grimace de dégoût, tandis qu’il décroche vivement de sa chemisette une espèce de lézard à six pattes qui s'y cramponnait. Mais leur attention est de nouveau accaparée par une sculpture représentant des humains casqués, encore revêtus d'un habillement futuriste. Ils brandissent des armes à rayons, semblant terrasser des hommes-lézards aux allures belliqueuses. Des motifs ciselés figurent d'autres personnages humains engoncés dans des espèces de scaphandres, aux côtés d'êtres indéfinissables qui manipulent de singuliers appareils. L'autre pan de mur fourmille littéralement de personnages aux masques grotesques, figés en des attitudes invraisemblables et occupés à des tâches énigmatiques.
       
         A quelles interprétations cette étrange iconographie peut-elle donner lieu ? Quelles controverses peut-elle bien susciter ? Là encore, elle est enrichie d'innombrables indications chiffrées, plus mystérieuses et plus énigmatiques les unes que les autres. Un peu en retrait, une stèle en pierre figure un autre groupe d'humains, curieusement blottis les uns contre les autres. Leurs yeux exorbités reflétent véritablement un sentiment de panique. Ils semblent craindre une bande de lézards disposés en cordon, qui paraissent les garder ou tout au moins les surveiller et qui contemplent, manifestement avec une certaine contrainte, ces scènes hallucinantes. 
       
         Winter, le cœur battant, sujet à une exaltation sans précédent, paraît de plus en plus intrigué. A l'aide de sa torche, il examine avec la plus grande attention ces sculptures d'une finesse exagérée ciselées dans la pierre, qui ont assurément donné lieu à un travail de patience, long et minutieux, patiné par les siècles. 
       
         Soudainement, devant eux, sur un socle, se dresse une silhouette d'une taille impressionnante, dépassant les trois mètres, à corps humain recouvert d'écailles et à tête serpentoïde couronnée. Son regard est glacial et dominateur. Elle tient un sceptre décoré du globe terrestre et le chiffre huit en position horizontale dans ses mains palmées. La créature pose l'un de ses pieds membraneux sur la tête d'un personnage aux traits humains revêtu d'une combinaison de cosmonaute, qui paraît se prosterner devant elle.
       
         - Encore ce roi serpent !... murmure Winter, en ravalant sa salive à plusieurs reprises.
        
         - Mais ... Ce truc est en métal !... s'étonne Ballantine en l'effleurant du bout des doigts. 
        
         - Vous avez ma foi raison. C'est bien du métal !... constate à son tour Winter, stupéfait, en caressant à son tour le magnifique ouvrage, dont la froideur de l'alliage le fait un instant frissonner... Cette chose doit pourtant se trouver à cet endroit depuis des millénaires ! ... Comment cette substance métallique a-t-elle pu résister aussi longtemps ! C'est incroyable ! Elle est dans un état de conservation stupéfiant et ne porte aucune marque de corrosion !
       
         - Je crois que rien en ces lieux ne sort de l'ordinaire professeur ... Cette effigie a été fondue dans un métal obtenu à partir d'un alliage certainement inconnu sur la planète. Il ne peut en être autrement. Un métal bien particulier d'ailleurs. Car voyez … Les écailles du corps de cette chose paraissent curieusement chargées d'un certain magnétisme frémissant au toucher.
       
         - Ce qui m'intrigue, c'est le fait que nous retrouvions partout ce roi serpent ! Sa tête est couronnée et ce qu'il  tient est à n'en pas douter un sceptre sur lequel figure ... hum ... voyons ... oui, c'est la Terre. Ce qu'il a dans l'autre main, rappelant le chiffre huit, représente certainement le symbole de l'infini. Comme c'est étrange. L'artiste qui est à la base de cette réalisation a certainement voulu fixer définitivement un événement important... gage Winter d'une voix chevrotante... Mais que voulait-il donc signifier ?
       
         - A moins que ce ne soit une mise en garde adressée à l'humanité !... nuance Ballantine sur un ton rempli de perplexité, en se passant une main ouverte dans sa courte chevelure. 
        
         - Que voulez-vous insinuer ?... suspecte aussitôt Winter, les sourcils en accents circonflexes, plutôt déconcerté par cette  supposition aussi imprévisible qu'inquiétante.
       
         - Je l’ignore encore professeur... s’interroge notre ami, l'air songeur, tout en caressant du bout des doigts le corps monstrueux qui donne l'impression de vouloir quitter son socle d'un instant à l'autre pour bondir sur les intrus... Néanmoins, je me demande si toutes ces sculptures sont bien dédiées à la gloire du Serpent comme vous le supposez. Ou si ... hésite-t-il, la moue réfléchie…
       
         - Allez-y ! Précisez ce à quoi vous pensez !
        
         - Eh bien, voyez-vous même professeur … Cette scène, par exemple, est on ne peut plus significative … Elle représente des humains gardés par des créatures reptiliennes. Leur attitude me paraît loin d'être équivoque. C'est clair. Ce tableau reflète l'épouvante de ces gens vis à vis de ces créatures du diable. Quant à ce roi serpent, il est évident qu'il semble imposer son autorité et sa volonté à un personnage de nature humaine, curieusement revêtu d'une combinaison de cosmonaute. On ne saurait s'y tromper, ce dernier paraît se prosterner ou, selon moi, être asservi par cette horrible créature.
       
         Bien que le raisonnement de son ami ait quelque chose d'hallucinant, Winter semble tout à coup admettre l'atroce mais incroyable réalité de la scène qu'ils ont sous les yeux.
       
         - Vous avez peut-être raison, mais où voulez-vous en venir ?... insiste-t-il d'une voix éraillée, visiblement troublé, voire carrément inquiet, appréhendant assurément la justification des derniers propos de son ami.
       
         - Je me demande, à tort ou à raison bien évidemment, si les humains qui sont représentés ici ne seraient pas tout simplement des vaincus subissant la loi du vainqueur... résume Ballantine en se tournant vers son ami, qui a frissonné une nouvelle fois, avant de détourner son regard de la statue de métal.
       
         - Pour quelles raisons donner une telle importance à des reptiles !... banalise alors ce dernier d'un geste de la main, cherchant assurément à minimiser la chose.
       
         - Je crois que nous avons une fois encore affaire à un nouveau mystère professeur. Un mystère qui ne me dit rien qui vaille...  conclut Ballantine, sourcils froncés.
     
     
     CHAPITRE III
     
            
          L'heure se faisant tardive, ils ont une nouvelle fois regagné l'abri de leur campement, sous le regard curieux d'un écureuil pourpre qui s'est vivement agrippé à la fourche d'un arbre avant de disparaître dans le feuillage. La pluie tropicale s'est brusquement mise à tomber, pour se transformer aussitôt en un véritable déluge.
         
         Il est un peu plus de 20 h 15. Les deux amis se sont retirés sous leur tente, tandis que Diego s’affaire à la préparation d’un repas froid sous le refuge de servitude, ses compères disputant une partie de cartes animée et criarde sous l'auvent protecteur. Le martèlement de la pluie sur les feuilles produit un bruit monotone, ne dérangeant pas pour autant nos deux lascars occupés à faire le point sur leurs dernières découvertes.
        
         Ballantine vient de passer timidement le bout du nez par l'échancrure de leur guitoune. Il constate avec satisfaction que le ciel est redevenu clair et limpide. L'averse a cessé, sans toutefois rafraîchir l'atmosphère pourtant déjà chargée et étouffante, mais la rendant plus lourde encore. Il se décide à faire quelques pas à l'extérieur, rejoint presque aussitôt par le professeur qui étouffe un bâillement en enfonçant la flamme craquante d'une allumette dans le fourneau de la courte pipe en écume qu'il vient de préparer.
        
         La pluie tiède a fait exhaler à la terre des parfums poivrés et les Mexicains se sont réunis autour du feu de camp qu'ils ont allumé, afin d'éloigner d'éventuels carnassiers. Ils poursuivent leur partie de cartes, sans plus se préoccuper de leurs employeurs temporaires.      
       
         Tandis que ces derniers se tiennent à quelques pas du campement et avant qu'ils n'aient eu la possibilité d'échanger de nouvelles paroles, Ballantine a sursauté ... Winter qui toussotait et se raclait vainement la gorge à plusieurs reprises, asphyxié par la fumée de son brûle-gueule, tressaille à son tour, crachotant nerveusement.
       
         - Vous avez entendu ?... marmonne-t-il le regard figé. 
        
         - Chut professeur !... souffle Ballantine en tendant l'oreille, avec un geste évasif de la main assorti d'un imperceptible froncement de sourcils.
        
         Un silence presque tangible s'installe un instant entre les deux hommes, aussitôt perturbé par les rires bruyants des Mexicains, toujours occupés à disputer leur partie de cartes endiablée.
       
         - Il m'a semblé entendre quelque chose... insiste néanmoins Winter, dans un murmure quasi inaudible.
        
         Sur un nouveau signe de son ami qui s'éloigne silencieusement du camp en direction de la forêt toute proche, ce dernier a cette fois cessé tout commentaire.  
       
         Ballantine vient de marquer un temps d’arrêt à la lisière de la jungle, une flamme d'inquiétude dans le regard, tandis que Winter s'approche timidement à son tour. 
       
         Le silence leur paraît soudain plus lourd, plus oppressant... 
        
         - Mais que !
        
         - Chut professeur... l'interrompt une nouvelle fois Ballantine, en lui retournant un regard sévère.
        
         Un léger bruissement de feuillage, presque imperceptible, n'a cependant pas échappé à l'ouïe fine de celui-ci. 
       
         - Nous ne sommes pas seuls... glisse-t-il au creux de l'oreille de son ami.
       
         Ce disant, il lui pose doucement la main sur l'épaule en exerçant une légère pression. Bien que la végétation dense ne laisse filtrer que peu de lumière, il lui désigne, d'un mouvement du menton, l'objet de sa prévenance, la chose qui vient d'arrêter son regard ... 
       
         Une profonde lueur verdâtre se faufile furtivement entre les arbres, une forme imprécise et ahurissante. Elle a traversé leur champ de vision en un éclair, avant de se fondre dans la nuit.
       
         Winter semble transformé en une véritable statue de marbre, figé, paralysé, la main gauche sur le fût de son brûle-gueule, dans une position qui prêterait à sourire en d'autres circonstances. Tous les sens en alerte, Ballantine a l'œil rivé vers l'endroit où s'est dirigée l'étrange apparition, guettant à présent le moindre signe de danger.
       
         La sensation d'une mystérieuse présence se fait de plus en plus sentir. Ils éprouvent en même temps la désagréable impression d'être observés par cette présence indécelable, mais néanmoins bien réelle. L'air semble tout à coup terriblement pesant et comme un fait exprès, des insectes agaçants voltigent en bourdonnant à leurs oreilles, contrariant leur concentration.
       
         Ils ont de nouveau sursauté ...
        
         Un grondement bizarre vient de retentir à quelques pas seulement de l'endroit où ils se trouvent, leur donnant à chacun le sentiment qu'un fauve se tient à l'affût, tapi près du campement. 
       
         Un pli de contrariété a barré le front dégarni du professeur et Ballantine a senti une angoisse étrange étreindre son cœur comme un étau.
        
         Nul ne pouvait soupçonner le drame qui guettait les explorateurs de cette ténébreuse aventure, isolés au sein de cette terre mystérieuse des Mayas-Quichés. Ils étaient certainement loin d'imaginer qu'ils allaient faire la plus extraordinaire, la plus fabuleuse des découvertes, celle qui allait changer le cours de leur existence.
     
     
    *          *
     
     
         Le danger, ils en sont subitement conscients, est incontestablement présent. Aussi Winter n’a-t-il pas tardé à réagir … Il s’est  prudemment reculé en invitant son ami à l'imiter d'un signe de la main. 
        
         - Restons près des autres. Il y a des fauves qui rôdent aux alentours... halète-t-il.
        
         Pour toute réponse, Ballantine a amorcé un geste de contrariété. Il n'obtempère pas pour autant. Il s'est néanmoins emparé d'une solide branche qu'il brandit comme une massue et signifie à son ami de refluer vers le campement comme celui-ci en avait l'intention. Puis, d’un pas feutré, il se dirige résolument vers les premiers fourrés ... 
       
         Il en est à moins de quelques mètres, lorsqu'un souffle rauque lui fait cesser tout mouvement. Le cœur battant, il s’est retourné vers le professeur, qui ne s'était guère éloigné que de quelques mètres. Ce dernier a aussitôt remarqué son hésitation ainsi que son brusque changement d’attitude. Une angoise insurmontable semble l’assaillir à son tour. Mais ils viennent de sursauter … Un rugissement sourd se propage soudainement dans la jungle, répété et roulé par l'écho, dont l'origine semble toute proche.
       
         Quelque chose est bien là ...  Quelque chose de monstrueux, tapi dans l’invisible ... Et qui attend ...  
       
         Un réflexe approprié, ou plutôt l'instinct de conservation, pousse rapidement Ballantine à prendre l'unique décision qui puisse s'imposer dans ce genre de situation : La fuite. Aussi met-il aussitôt un terme à sa curiosité en tournant rapidement les talons, pour rallier rapidement son ami, qu'un long frisson parcourt déjà de la tête aux pieds.
       
         Les Mexicains ont eux aussi perçu le cri rauque. Ils ont promptement interrompu leur partie de cartes et deux d'entre eux se sont déjà emparés de leurs machettes. Tous se portent aussitôt au devant des deux imprudents, qui ne tardent d'ailleurs pas à les rejoindre.
       
         Winter, le teint livide, a bredouillé quelque chose, qui très probablement équivalait à une tentative de remerciement.
       
         - Nous l'avons ... échappé ... belle ... ajoute-t-il d'une voix haletante et saccadée, plus émotionné qu'essoufflé par cette brusque épreuve forcée et inattendue.    
       
         - Une bande de pumas ou de jaguars doit être à l'affût quelque part aux alentours du campement... hasarde Ballantine, en se passant nerveusement une main ouverte dans les cheveux.
       
         - No Sénor, no, ça pas être cri pouma ! Pas être cri jaguar no plus Sénor. Ca pas être bon dou tout... souffle Miguel, l'un des Mexicains, en se signant à plusieurs reprises, l'œil dilaté par une frayeur naissante. 
       
         - Mais qui veux-tu que ce soit ? Le diable en personne peut-être !… raille Ballantine avec un rire sans joie ; un de ceux qui sonnent faux, tout en haussant les épaules. 
       
         La boutade paraît laisser le dénommé Miguel impassible, car il se presse de répéter inlassablement et avec une certaine insistance les mêmes mots ... Ca pas bon, pas bon dou tout ! ... Malo ! Malo ! (mauvais)
        
         Winter et Ballantine ont échangé des regards désabusés et tous se sont mis sous la protection du feu de camp qui crépite dans l'obscurité naissante et que l'un des Mexicains s’est pressé de recharger en jetant à plusieurs reprises des branches mortes au centre du foyer. C'est à cet instant précis que Ballantine ressentit une impression étrange, indéfinissable, mais parfaitement insupportable. Tous semblant partager la même angoisse. 
       
         - Ne nous inquiétons pas outre mesure Dany. Les Guatémaltèques ont toujours considéré le Peten comme un territoire mystérieux, légendaire et même vaguement terrifiant. D'ici demain, nos compagnons auront retrouvé le moral... tente d'argumenterWinter sur un ton se voulant rassurant, devant l'expression contrariée de son ami.
       
         Ce dernier semble néanmoins faire fi de la remarque adressée par le professeur. Il est allé prendre ses jumelles et inspecte à présent minutieusement les abords de la jungle. Il est conscient qu'un mystérieux danger les guette, tapi là-bas, quelque part aux alentours, attendant le moment propice pour se manifester et les surprendre. Mais l'obscurité qui envahit peu à peu la jungle, met rapidement un terme à son observation. 
       
         Le repas du soir s'est toutefois déroulé dans une ambiance détendue, les chicleros ayant noyé leur angoisse à l'aide d'une bouteille de tequila, bien que l'incident n'ait pas pour autant permis de tranquilliser Winter et Ballantine. Ce dernier a pris la décision de veiller sur le campement jusqu'aux premières lueurs de l'aube, ne pouvant se fier ou même compter sur le concours des Mexicains. La moitié d’entre eux, victime des traîtrises de Bacchus (*), sont d'ailleurs déjà partie faire un tour du côté des vignes du Seigneur, leurs ronflements raisonnant à travers la forêt en faisant foi. Le professeur a bien insisté pour lui tenir compagnie, mais le déroulement des derniers événements a passablement diminué ses facultés, tout en portant atteinte à ce qui lui reste de vitalité.
       
         Il règne toujours une atmosphère d'étuve malsaine. Ballantine ne se sent pas à l’aise. Il veille sur le sommeil de ses compagnons d’un œil inquiet, assis à même le sol près du feu de camp, qu'il recharge avant que le besoin ne s'en fasse sentir. Sa carabine "22 long rifle" automatique est installée sur ses genoux, au cas où, et les pinceaux de sa torche électrique fouillent de temps à autre les alentours avec insistance. Mais la mystérieuse présence, objet de leur inquiétude, paraît ne plus vouloir se manifester. Seul le crépitement du bois livré aux flammes résonne dans la nuit.
       
         Vers  les quatre heures du matin, Juan, quelque peu remis de sa "cuite" mais ne paraissant toutefois plus se trouver sous l'emprise des vapeurs d'alcool, s'est proposé pour le remplacer. Bon gré, mal gré, notre ami qui luttait déjà depuis un long moment pour ne pas s'assoupir, a tout de même consenti à rejoindre Winter qui dort du sommeil du juste sous la tente.
     
    (* Bacchus : dieu grec de la vigne, du vin et du délire extatique)
     
       
                                                            
    CHAPITRE  IV
     
       
       
         Ce sont les cris tonitruants d'une bande de perruches aux multiples couleurs, qui ont éveillé Ballantine. Il s'étire aussitôt comme une chatte, les yeux encore gonflés de sommeil. Sans quitter sa couche, il secoue le professeur qui râle un court instant, avant de se décider à entrouvrir timidement une paupière.
       
         Sitôt sur pied, il écarte la moustiquaire et tend le bras vers la malle métallique qui lui sert de table de chevet, pour consulter rapidement sa montre qui lui indique qu'il est déjà huit heures un quart.  Sa réaction est alors instantanée ... 
       
         Il s’est détendu comme un ressort pour bondir à l'extérieur, où le Tropique lui souffle brutalement au visage son haleine brûlante. Tout en se grattant le cuir chevelu et en étouffant un dernier bâillement, il constate avec surprise la présence d'un tapir au milieu du camp, ce monstre doté d'une trompe, mi-sanglier, mi-éléphant, que les Indiens du Guatemala chassent avec une sarbacane. Le timide mammifère, qui paraît trouver à son goût l'herbe tendre de la clairière, n'accorde même pas un regard au bipède surgi de sa maison de toile. Il continue de brouter en toute impassibilité, complètement indifférent à la présence de cet intrus, qu'il considère assurément sans aucun intérêt particulier.
       
         Ballantine lui rend toutefois son désintéressement en détournant rapidement leregard, constatant avec contrariété que Juan n'est pas à son poste ! Pourquoi ne les a-t-il pas réveillés ? Il sait pourtant bien qu'ils ne sont pas ici pour faire la grâce matinée ! Que le moment n'est pas à paresser au lit ! Puis, les curieux événements impondérables qui se sont produits la veille l'assaillent aussitôt … Son regard s’est porté en direction du mur vert de la forêt, à l’instant où Winter fait à son tour son apparition. Bâillant comme une carpe, quitte à s'en décrocher la mâchoire, ce dernier semble néanmoins surpris de ne pas humer, comme d’habitude, l'agréable parfum de son breuvage matinal préféré, le thé.
       
         Avec un froncement de sourcils, Ballantine s’est emparé rapidement de ses vêtements, cherchant vainement des yeux la présence de Juan. Il fait aussitôt part de son inquiétude au professeur. Ce sentiment est à son comble et fait même place à de l'appréhension, lorsqu'il découvre la carabine abandonnée près de l'endroit où crépitait la veille au soir le feu de camp, visiblement éteint depuis longtemps par défaut de combustibles, à en juger par l'amoncellement  de cendres froides en un résidu grisâtre déjà solidifié.
       
         - Cet animal a un de ces toupets !... sourit Winter en apercevant le tapir qui, cette fois, a pris la fuite en direction de la forêt, galopant aveuglément droit devant lui, provoquant à son tour l'envol précipité d'un quetzal, cet oiseau d'une rare beauté, emblème du Guatemala.
       
         Ballantine, préoccupé par l'absence inexplicable du métis, s’est dirigé vers le refuge de ses congénères, à l’instant où ces derniers quittaient précipitamment leur gîte après avoir enfilé leurs vêtements à la hâte. Confus, se frottant les paupières, l'air penaud après avoir constaté que l'astre solaire était déjà haut dans le ciel, ils étouffent timidement un dernier bâillement en passant à plusieurs reprises leurs doigts bagués dans leurs tignasses dépeignées. Mais Ballantine et Winter ont échangé des regards chargés de contrariété, constatant avec ennui que Juan ne figurait pas parmi eux.
       
         - L'un d'entre vous sait-il où est Juan ?... questionne aussitôt Ballantine, les poings sur les hanches, planté devant les trois lascars, d'une voix marquée par une légitime appréhension.
       
         Les trois compères semblent avoir reçu le ciel sur la tête. Ils sortent sans aucun doute d'un sommeil lourd et ont visiblement la gueule de bois. L'un d'eux hésite un court instant, promène un regard ahuri autour de lui, rejette en arrière la mèche qui lui barre le front …
       
         - Juan  ? ... Qué Juan ? ...  Ah Juan !… bredouille-t-il d’une voix pâteuse, quasi inintelligible, les yeux hagards. Puis, le regard errant une nouvelle fois au hasard, il dévisage ses acolytes qui, avec un mouvement d’ensemble des plus significatifs, se sont contentés de hausser les épaules. L'un d'eux esquissant même une moue évasive. 
       
         Ballantine a ébauché un geste trahissant son impatience, croisant les bras en prenant un air déterminé.
       
         - Alors quoi ! Sacré bon sang, ne me dites pas qu'aucun d'entre vous ne sait où est passé Juan !... s'écrie-t-il cette fois d'une voix sévère et contrariée, une flamme d'inquiétude de plus en plus vive brillant dans ses prunelles.
       
         Devant l'air hébété des trois comparses, il a haussé les épaules, dépité, préférant ne pas insister avant de se rendre à l'angoissante réalité … Le dénommé Juan a bel et bien disparu. Conscient de l'incident de la veille au soir, il est impensable qu'il se soit aventuré seul dans la forêt, délaissant même son arme au mépris du danger. Un malaise indescriptible s'empare alors de tout son être. Cette jungle devient soudain pour eux l'enfer même de la solitude et de l'angoisse. Le professeur ne trouve même plus une parole réconfortante en cette circonstance alarmante, son visage ne reflétant qu’une expression tendue et grave. Mais les Mexicains semblent revenir peu à peu à la dure réalité, paraissant enfin refaire surface, pour hélas ne faire qu’accentuer encore la suspicion de leurs employeurs, renforcer leurs craintes, accroître un peu plus encore leur désarroi.
       
         - Por dios, ce temple est sacré Sénor ! Sourément endroit maudit. Juan avoir été enlévé par dieu Serpent... anticipe déjà l'un d'eux d'une voix blanche, la lèvre inférieure légèrement tremblante.  
       
         - Partir Sénor, por favor, partir vite d'ici ! Nous pas rester Sénor... enchérit un autre, en inspectant les environs d'un regard affolé tout en se signant à plusieurs reprises.  
       
         - Nous avoir foulé lieu sacré maya Sénor... ajoute le troisième, se signant à son tour, son visage basané reflétant une profonde expression d'effroi.
       
         Ballantine fait alors un effort surhumain pour se contenir, laissant échapper un soupir d’énervement, tout en crispant nerveusement les mâchoires. Bien que ces commentaires ne remettent nullement en doute leur courage mais fassent resurgir une superstition ancrée dans les mœurs, une peur-panique semble avoir visiblement pris possession des forestiers. Cette prise de conscience, pour le moins justifiable, laisse à penser qu'il ne faudra plus compter sur leur coopération. Ballantine n’est pas sans savoir qu’étant donné les circonstances, il sera maintenant délicat de continuer d'espérer leur concours, même en échange de fortes sommes. Cette situation l'incite à réprimer un mouvement d'humeur. Il se doit de paraître imperturbable, afin de répondre aussi calmement que possible à l’appréhension de ses compagnons pour pouvoir les remettre en confiance, sans laisser percer dans sa voix son inquiétude interne.
       
         - Reprenez-vous ! Vos affirmations relèvent de la pure imagination ! Seriez-vous devenus des femmelettes ? Et comment repartiriez-vous ? Vous auriez à parcourir plus de trois cents kilomètres à pied à travers la jungle avant de pouvoir espérer rejoindre le premier village ! ...Abandonneriez-vous Juan ? ... Allons, assez d'enfantillages ! Nous allons partir à sa recherche. Il ne doit pas être bien loin.   

         Le ton employé a été des plus significatifs, n'admettant aucune controverse. Bien que   plongés dans le doute, le scepticisme dont faisaient preuve les Mexicains paraît se dégeler progressivement. Silencieux et immobiles, la tête basse et la mine sombre, ils ont acquiescé d'un simple signe de tête, s'exécutant certainement de mauvaise grâce. L'un d'eux  a même étouffé un soupir haché en adressant un regard suppliant vers le ciel.
       

         Winter qui marche de long en large, les mains croisées derrière le dos à la manière d'un animal en cage, semble quant à lui précipité dans un abîme de perplexité. Pensif, la mine contrariée, visiblement rongé par une incertitude croissante, il a cependant jugé inutile d'en rajouter, ressassant pour son compte personnel ses sombres pensées.
       

         Submergés par ces événements pour le moins contrariants, d'aucuns n'avaient remarqué jusqu’alors les empreintes en relief en forme de fer à cheval, de la taille d’une assiette plate, profondément marquées dans la terre argileuse de la clairière. 
       

         C'est le professeur qui, toujours plongé dans ses pensées, donne soudain l'alerte.
       

         - Mauvais signe Sénor ! Traces du dieu Serpent ! Danger, danger !... affabule aussitôt Miguel, les yeux exorbités.
       

         - Non, c'est pas vrai ! Vous n'allez pas recommencer ! Assez de fanfaronnades !... rugit Ballantine avec sévérité, bien que son sang n'ait fait qu'un tour... Si ces marques ont un rapport quelconque avec la disparition de Juan, nous allons le découvrir... continue-t-il d'un air plus décidé que jamais... D'ailleurs, voyez vous-mêmes ! … Il n'y a aucun signe de lutte témoignant d'une hypothétique agression. Si d’aventure votre compagnon avait été malmené, voire même blessé, nous en trouverions des indices. Or, ce n'est pas le cas … Carlos gardera le campement... annonce-t-il aussitôt après quelques secondes de réflexion, la carabine déjà passée à la bretelle. Puis, sans même laisser le temps aux Mexicains de se reprendre ... Vous deux, vous nous accompagnez... ajoute-t-il d'un ton sec en désignant un Diego et un Miguel peu rassurés. 
       

         S'attendant à une objection ... qui ne vient pas ! Ballantine et Winter ont échangé des regards complices chargés de satisfaction. Les métis, bien que le stoïcisme ne les étouffe guère, mais n'ayant de toute évidence guère le choix, paraissent tout à coup calmés, bien que résignés serait le mot exact. Ils ont toutefois haussé les épaules d'un air fataliste, en marquant leur désapprobation d’un grognement laconique.
       

         Après avoir laissé leurs consignes au gardien et lui avoir confié un talkie-walkie, ce qui leur permettra de rester en liaison permanente et d'être avertis au cas où Juan serait de retour au camp durant leur courte absence, ils se sont enfoncés tous les quatre à travers le mur de verdure mystérieux et peu rassurant du Peten.
       

         Diego s'est muni de sa précieuse et rassurante vieille Winchester qui ne le quitte jamais. Mis à part les boissons, ils n'ont emporté que le strict nécessaire, conscients du fait qu'ils devraient, avec ou sans Juan, regagner le campement avant la nuit. Ils n'ont aucune peine à suivre les empreintes profondément ancrées dans le sol. C'est avec une légitime appréhension, que Ballantine a empoigné sa carabine, prêt à en faire usage sur l'être énigmatique qui semble hanter ce territoire. 
       

         La jungle abrite une faune piaillante, criante et rampante, avec une flore à sa juste mesure. Partout s'élèvent majestueusement à plus de cinquante mètres du sol des arbres immenses aux bois précieux, ainsi que d'innombrables espèces de palmiers. Pumas et jaguars qui hantent les lieux ne constituent pas de réels dangers. Seuls les parasites et les moustiques peuvent se révéler de véritables ennemis. Les espèces qui sévissent inlassablement le jour, disparaissent miraculeusement une dizaine de minutes avant la tombée de la nuit. Elles sont rapidement remplacées par une nouvelle vague d'insectes d'un autre type, à la morsure différente, mais toutefois aussi efficace.
       

         Il n'a pas été nécessaire aux deux Mexicains de prendre la tête de l'expédition pour débroussailler et se frayer un chemin, une trouée se trouvant déjà aménagée au sein de l'affolante végétation par l'être mystérieux aux curieuses empreintes. Les marques en fer à cheval continuent à en témoigner. Mais très vite, la flore devient folle et leurs assistants, coiffés de leurs larges sombreros, sont bientôt contraints d'élargir le passage à coups répétés de machettes. Dans cet enfer vert, sombrero et "machete" sont aussi indispensables l'un que l'autre. Il s'agit avant tout, dans cette fournaise, d'éviter l'insolation lorsque l'on quitte la protection des grands arbres et d'avoir bien en main le machete à tout faire. Cet outil ancestral, que rien ne saurait remplacer dans cet endroit, leur pend habituellement sur le côté dans sa gaine protectrice. Il s'agit de le tenir bien en main, prêt à toute éventualité, ou simplement pour dégager le chemin.
       

         Un nuage de gouttes vibrantes les a entourés un court moment, mais ce n’étaient que des oiseaux-mouches aux couleurs éclatantes, faisant penser à des jeux de lumière sur un jet d'eau. Ils continuent de s'enfoncer dans cette jungle rébarbative, royaume des maladies endémiques, communes à toutes les terres tropicales de basse altitude. En langue maya, le mot "Peten" signifie "endroit isolé". Ce terme correspond parfaitement à la réalité de ce territoire, couvert d'une jungle très dense, isolé, et la plupart du temps, inaccessible. Au nord du Peten s'étale la péninsule du Yucatan, terre sèche et aride qui appartient au Mexique. Au Sud, les hauts plateaux du Guatemala le séparent du Pacifique. A l'Ouest, il est bordé par les montagnes du Chiapas et à l'Est par l'ancien Honduras britannique devenu l'état constitutionnel du Belize depuis 1981, et enfin la république du Honduras.
       

         A une quarantaine de mètres de leurs têtes, le feuillage dément du tropique tresse une voûte si serrée, que la forêt paraît baigner dans la pénombre. Cet abri naturel les protège des rayons brûlants du soleil, mais ne les épargne pas un seul instant de la chaleur étouffante, malsaine et insupportable, régnant à l'intérieur.   
       

         Au terme de deux heures d'une marche épuisante et d'une progression difficile, ils sont enfin arrivés en bordure d'un lac frangé de palmiers et de bananiers sauvages, dont les eaux vertes scintillent dans la pleine lumière du jour. Aussi en profitent-ils pour marquer une pause, les traces s'interrompant curieusement à la limite de la nappe d'eau.
       

         Winter, suant par tous les pores, s'est allongé à l'ombre d'un palmier géant, aux côtés de Diego ; l'autre métis étant resté aux côtés de Ballantine, en bordure de l’étang.
       

         - Juan emporté dans les eaux du lac Sénor ! Dieu Serpent va lé pounir et nous avec !... dramatise de nouveau Miguel avec des paroles étranglées.
       

         Ballantine a préféré ignorer la remarque, tant elle lui paraît absurde, bien que dans son for intérieur il n’en convienne pas moins que le métis n'a pas tout à fait tort. Les traces en fer à cheval s'arrêtent précisément sur le rivage, comme si l'étrange créature à l'apparence verdâtre était entrée dans les eaux du lac.   
       

         Une légère ondulation glissant dans l'eau claire à moins d'une dizaine de mètres de la berge vient d’attirer son attention.  Cela ressemble à une énorme souche. Il ne faut pas s'y tromper, car  il n'en est rien. Bien que seuls affleurent des yeux aux arcades rocailleuses et la pointe de ce qui ressemble à un museau de la préhistoire, notre ami a immédiatement identifié un crocodile. Un caïman plus exactement, certainement nombreux en ces lieux. Aussi signifie-t-il aussitôt aux deux autres restés allongés sous les palmiers d'ouvrir l’œil et de rester sur leurs gardes. Mais le compagnon du professeur le tranquillise en brandissant sa Winchester.
       

         - Nous savoir Sénor. Pas danger.
       

         Rassuré sur ce point, le voici qui arpente nerveusement les abords du lac à la recherche de la solution miracle.
        

         Une dizaine de minutes s'étant écoulées, étranglant un râle, il a rejoint les autres, le prodige ne s'étant toujours pas accompli.
        

         - Nous aurions dû emprunter l'hélico... jette-t-il d'une voix hargneuse, les nerfs tendus comme des cordes de piano... Nous aurions été cent fois plus vite.
       

         - Mais ... vous savez bien Dany, que notre réserve de kérosène n'est pas assez importante. Nous avons tout juste de quoi tenir jusqu'au retour. Jusqu'à Florès... tente d’argumenter Winter d'une voix fluette.
       

         - Vous avez raison professeur. Nos réserves de carburant ne nous permettent pas de faire le guignol au-dessus de cette satanée jungle. Ce n'était pas prévu. De toute façon, il est évident que de là-haut nous n'aurions pas pu pister cette créature… conclut-il, comme pour se trouver un soupçon de consolation. 
       

         Puis, se saisissant de son talkie, il actionne nerveusement le timbre d’appel du métis de garde au campement, ne se faisant toutefois aucune illusion quant à sa réponse.
       

         - Rien de nouveau Carlos ? Toujours pas vu Juan ?... s'enquiert-il d'une voix inquiète.  
       

         C’est une réponse grésillante qui lui parvient aussitôt en retour…

        - No Sénor. Juan pas encore révénou. Et vous, vous né l'avez pas trouvé non plous ?

        - Nous poursuivons les recherches. Surtout, ne t'éloigne pas ... Terminé.
       

         - Que proposez-vous Dany  ?... demande aussitôt Winter, le visage grave.
       

         - On ne va tout de même pas attendre ici jusqu'à la saint glinglin ! C'est incompréhensible ! Tout porte à croire que cet être est entré dans les eaux du lac ! Il ne nous reste plus qu'à rentrer… jette-t-il d’un air dépité, assorti d’un geste de mauvaise humeur.
       

         - Sénors, vénez voir ! Vite Sénors, vénez voir !... s'écrie soudain et avec insistance l'un des métis planté à la lisière de la forêt.   
       

         - Qu'y-a-t-il Diego ? Aurais-tu fini par apercevoir le diable !... ironise Ballantine sur un ton moqueur, se pressant toutefois d'obtempérer.
       

         C’est d’un bras tremblant que le Mexicain lui désigne de nouvelles marques en fer à cheval, visiblement récentes, incrustées dans le sol. Elles s’avèrent toutefois moins profondes que celles qu'ils avaient suivies jusqu’alors, se dirigeant à n'en pas douter une nouvelle fois à travers la jungle, ouvrant un nouveau passage.
       

         - Bon sang ! Venez voir professeur ! On dirait que cette créature est retournée dans la forêt avant que nous ne parvenions jusqu’ici. Les empreintes sont moins prononcées.
       

         Winter se rend aussitôt à l'évidence. Il s'agit bien de marques en tout point semblables à celles qu'ils ont jusque là pistées. Les deux Mexicains ont eux aussi remarqué que les empreintes étaient moins encaissées, comme si l'être fantomatique s'était débarrassé d'un poids mort.  
         

         - Il ne s'agit peut-être pas de la même créature... risque Winter, perplexe, devant l'inquiétude grandissante de son ami, bien qu’étant saisi de la même conviction …  A savoir que l'étrange « chose », après être entrée dans le lac et s'être débarrassée de la charge qu'elle transportait, avait regagné la jungle.
       

         - Cela m’étonnerait professeur. Il ne doit pas y avoir beaucoup de locataires dans ce coin perdu qui soient en mesure de laisser des traces pour le moins aussi singulières. De toute manière, nous ne devons rien laisser au hasard.  Nous verrons qui aura le dernier mot !… jette Ballantine, en invitant ses compagnons à se lancer sur la nouvelle piste laissée par l’être mystérieux.
       

         - Eh bien quoi ! Vous attendez l'autobus ?... ironise Winter d'une voix chevrotante en s'adressant aux deux métis qui, la bouche grande ouverte, semblent s'être transformés en statues de marbre.
       

         L'écrasante forêt vient à nouveau de les engloutir. Bien que rien ne le laisse paraître, Ballantine ressent une immense lassitude s'abattre sur ses épaules, avec le sentiment que leurs efforts auront été inutiles. Tout semble ligué pour laisser persister en eux une sournoise angoisse, bien que ces quelques jours de recherches acharnées leur aient toutefois offert un bilan pour le moins positif. Ce sera peut-être là leur unique consolation. Mais il y va en cet instant de la vie d'un homme. Et cela, il ne l'accepte pas.
       

         Ils cheminent depuis deux bonnes heures, lorsque Diego qui, à l'instar de son compatriote possède un sens inné de l'orientation au sein de cet enfer vert, fait soudain remarquer que les traces convergent, à n'en pas douter, en direction de leur campement, distant maintenant d'une heure de marche, à peine.
       

         - Bon sang ! Il faut alerter Carlos !... réalise aussitôt Ballantine, qui s'est empressé de se saisir de son talkie ...
       

         Le soulagement s’est fait attendre durant une poignée de secondes qui leur ont paru interminables, au terme desquelles la voix nasillarde et empâtée du gros Carlos retentit pour la seconde fois dans l'écouteur du petit émetteur-récepteur…
       

         - Oui Sénor ?
       

         - Ecoute-moi bien Carlos et ne pose pas de questions. Tu vas immédiatement te rendre dans ma tente. Dans mon havresac tu trouveras un revolver. Il y a un chargeur à l'intérieur et trois autres de rechange dans la poche droite. Prends le, ainsi que les chargeurs et attends-nous dans l'hélico. En aucun cas tu ne dois en sortir avant notre retour. Tu m'entends bien Carlos, en aucun cas. Compris ?
       

         - Si Sénor si. Yé vais prendre votré revolver et yé vous attends dans l'hélico. O.K. Yé fais comme vous dites Sénor.
       

         - Bon ... Terminé ... A tout de suite.
       

         - Tâchons de presser le pas... recommande encore Ballantine en faisant glisser nerveusement une balle dans le canon de sa 22.   
       

         La forêt a soudainement frémi comme sous la violence d’une averse torrentielle. Diego, qui va devant, semble s’interroger sur cette rumeur qui se rapproche et s'amplifie, tandisque leur parvient une odeur épouvantable et que retentissent de furieux grognements.
       

         - Des pécaris !... s'est exclamé Ballantine.
        

         A peine ont-ils eu le temps de se jeter de côté, que surgit toute la horde, têtes baissées. A leur allure, les cinq hommes ont aussitôt réalisé qu'ils étaient dangereux, certains montrant même les crocs. Mais la troupe est passée au grand galop, avant de se perdre aussi vite qu'elle s'était manifestée, dans l'immensité de la forêt.
       

         - Ces cochons sauvages ont bien failli nous agresser !...  peste le professeur d'une voix tremblante... Nom d'une pipe, quelles sales bestioles ! Que le diable les emporte !
       

         - Je suis certain que si cela avait été le cas, ces vilaines bébêtes auraient assurément eu un faible pour votre grassouillette personne...  raille Ballantine en faisant entendre un petit rire aigre et forcé.
       

         Avec un haussement d'épaules, Winter a baragouiné quelques mots incompréhensibles, signifiant certainement par-là qu'il n'appréciait guère la vanne lancée par son ami. 
       

         Ils ont parcouru plusieurs centaines de mètres sans avoir eu à dégager le passage, la végétation s'étant largement éclaircie. Diego, qui mène la troupe, leur signale subitement, un doigt sur les lèvres, de faire silence. Il a empoigné sa Winchester dont l'armement claque et résonne à travers la forêt l'espace d'une seconde. Il épaule lentement ... et à l'instant où la salve retentit comme un coup de tonnerre, un splendide dindon sauvage, qui prenait lourdement son envol en glougloutant, s'effondre aussitôt à quelques mètres à peine dans les fourrés. Le tireur s’est précipité sans attendre vers le lieu de sa chute … A l’instant où il se préparait à le saisir, un ocelot a bondi sur le volatile pour disparaître illico avec sa prise dans la gueule, ne laissant sur place qu'un amas de plumes ébouriffées encore tièdes.

        Une grimace de dépit s’est ébauchée sur la face ronde du Mexicain. Il a rejoint les autres en bredouillant un juron, masquant maladroitement sa déconvenue. Mais son attitude gauche, assortie de sa malchance, déclenchent la raillerie de Miguel.
       
         - Madré dé dios amigo ! Lé chat sauvage, il s'est bien foutou dé toi ! Ma il a oublié dé té dire merci !... pouffe ce dernier en se tapant sur les cuisses sans aucune retenue.   
       
         La plaisanterie a déridé les visages graves de la petite troupe. L'intéressé malchanceux, visiblement vexé et assurément profondément atteint dans son amour propre, a haussé les épaules. Puis, remettant nonchalamment sa Winchester à la bretelle comme si de rien n'était, fait mine de prendre un air sérieux, faussement décontracté, comme frisant même l'indifférence. Mais son comportement cocasse, grotesque, voire emprunté, ne saurait en aucune façon abuser ses compagnons, ne faisant qu'amplifier leur état soudain d'hilarité et qui cette fois en sont carrément à rire à gorge déployée. Cette explosion imprévisible de moquerie communicative, voire contagieuse, a tôt fait de par la force des choses d'entraîner à son tour l'infortuné Diego dans ce fou rire tourbillonnant. Il finit par y participer bien malgré lui, ce qui détend un court moment cette atmosphère d'inquiétude et d'angoisse.   
       
         Leur comportement a certainement dérangé un groupe de singes atèles noirs aux membres grêles, ainsi qu'une bande de sapajous. Les primates leur font aussitôt comprendre qu'ils sont des intrus en poussant des cris, tout en les bombardant rageusement avec des branches mortes et des fruits verts, avant de s'enfuir en hurlant. Les membres de la petite troupe les suivent un court instant du regard, avant qu'ils ne se volatilisent dans l'épaisse ramure des grands arbres de la forêt.
       
         Diego vient de les informer qu'ils n'étaient plus qu'à un kilomètre du camp, à l’instant même où retentissent deux ... puis trois coups de feu, dont l'écho a claqué et roulé en cascade dans la jungle. 
       
         Ils ont immédiatement marqué un temps d'arrêt, tendant l’oreille ... Mais plus rien, à part les cris tonitruants des singes et le concert habituel des chants d'oiseaux. Le cœur battant à tout rompre, Ballantine s’est saisi de son talkie-walkie, brusquement assailli par un étrange pressentiment, une sorte de prémonition malsaine et inexplicable. 
       
         Malgré son insistance, Carlos, cette fois, ne répond pas. Ballantine ne sait pas pourquoi, mais il s’y attendait. Il s'est produit quelque chose d’anormal au campement. Sur quoi ou plus exactement sur qui a tiré le Mexicain ? Car ce ne peut être que lui l’auteur des coups de feu. D'ailleurs, Ballantine a reconnu la musique caractéristique de son colt  Python calibre 35.    
       
         Il tente encore une fois de joindre le Mexicain, mais sans plus de succès. L’inquiétude commence à l’envahir. Beaucoup plus qu’un doute, il a tout à coup la certitude qu’ils vont arriver trop tard, que le pire s’est déjà produit. Le visage décomposé, il s’est tourné vers le professeur qui, avec une grimace de contrariété, lui signifie que son angoisse est partagée. Ce qui les chagrine davantage, c'est que la piste laissée par l'être mystérieux se dirige comme ils le redoutaient en direction de la clairière où a été dressé le campement.
       
         C’est au pas de course qu’ils surgissent dans la petite plaine quelques minutes plus tard, à l’instant où une silhouette fantomatique, au corps entièrement velu et verdâtre, apparaît au premier plan. Elle est d’une taille impressionnante, atteignant certainement les deux mètres cinquante, voire plus. Elle se dirige en direction de la lisière de la forêt, un fardeau humain sur ses larges et puissantes épaules.   
       
         Ballantine a senti son poil se hérisser
         
         - Bon sang ! Cette chose emmène Carlos !... s'écrie-t-il en refermant rageusement la main sur la crosse de son arme.
        
         Durant un bref instant, la « chose » a marqué un temps d'arrêt, les ayant visiblement repérés. De grandes mèches d’une chevelure abondante lui couvrent les épaules comme une crinière et une boule de vapeur pâle lui tient lieu de tête.
        
         Mais Diego a déjà épaulé … Au risque de blesser son compatriote, il lâche plusieurs salves sur l’étrange apparition.
        
         Celle-ci a tourné rapidement les talons, accompagnant sa fuite d'un formidable bond, pour aussitôt trouver refuge et protection sous l'épaisse végétation de la forêt. 
       
         - Un bigfoot !... s'est exclamé Winter, le visage décomposé.   
        
         - No Sénor ! Mamma mia, cette créatoure n’est pas un bigfoot !
       
         - Miguel a raison professeur... relève Ballantine... Ces hommes-bêtes, si toutefois ils existent vraiment, n'ont été aperçus qu'en Californie ou dans les régions retirées du nord-ouest des Etats Unis. En outre, ils ne sont pas de nature belliqueuse, mais curieuse…
        
         L'arme au poing, la troupe s’est précipitée dans la direction où vient de disparaître la fantastique créature. Ils ont aussitôt remarqué les étranges traces en fer à cheval. Mais c'est peine perdue … L'être mystérieux a déjà disparu. 
       
         - Vite, à l'hélico !...  lance Ballantine.
       
         Sitôt dit, sitôt fait… Les voici tous les quatre entassés dans la gazelle SA 341, Ballantine aux commandes. Et le gros insecte bruyant a décollé.
        
         Manié de main de maître et afin de ne pas éveiller la méfiance de l'étrange créature, son pilote lui a fait effectuer un court crochet au-dessus de la forêt avant de piquer vers le lac.
       
         Moins de dix minutes plus tard, l'hélico survole déjà la verte étendue d'eau avant de se poser en retrait, sous l'abri des grands arbres.
       
         - Cette « chose » va voir de quel bois on se chauffe... fulmine Ballantine en sautant à terre, imité en cela par ses trois compagnons... Elle ne s'attend pas à ce que nous l'ayons précédée à cet endroit. Nous allons lui tendre un piège… rumine-t-il en serrant nerveusement les mâchoires. 
       
         Ballantine et Winter se sont dissimulés dans les broussailles à l'orée de la forêt, à moins d'une quinzaine de mètres des premières empreintes. Diego et Miguel se sont postés à quelques mètres des secondes. 
       
         L'attente n'aura pas été longue ... 
        
         Une trentaine de minutes se sont à peine écoulées, que la créature au pelage verdâtre surgit, son fardeau humain sur ses larges épaules. Sa taille est vraiment impressionnante. 
       
         Ballantine n’a pas attendu qu'elle pénètre dans le lac. Il s’est aussitôt débusqué, prêt à faire feu, tandis que les Mexicains se dévoilent à leur tour, l'un brandissant sa machette, l'autre mettant la créature en joue avec sa Winchester.
       
         Un sourd grognement a retenti … La bête, ou tout au moins ce qui lui ressemble, a fouetté l'air de son énorme main griffue. Durant quelques secondes, ils n’ont pu détourner les yeux de cette boule pâle et verdâtre lui tenant lieu de tête et sur laquelle ils  recherchent vainement les yeux, le nez, la bouche ... !  Sans succès ?   Peut-être pas !
       
         En effet, l'aspect insolite verdâtre et vaporeux semble tout à coup s’évanouir progressivement, comme une brume légère qui se dissiperait dès l'apparition de l'aurore. Le phénomène s’accentue, dévoilant à présent, mais l'espace d'un court instant, une face tremblotante aux contours imprécis, aplatie, noire et luisante, avec de grands yeux jaunâtres et un trou à la place de la bouche. L’ensemble reste flou et confondu et ne tarde pas à reprendre son état originel d'une boule verte semblant sans consistance, cerclée d'un épais brouillard, et tournant sur elle-même.
       
         Un instant stupéfaits, les membres de la petite troupe ont tardé à réagir, ce qui laisse à  l’être d’apparence fantastique l'occasion d'en profiter pour filer en direction du lac en leur adressant un rugissement menaçant. Mais Diego l'a déjà mis en joue … Une détonation a claqué, immédiatement suivie d'une seconde, confondues par l'écho. 
       
         La créature a été atteinte par deux projectiles à la cuisse, car elle s'est écroulée lourdement, la tête au ras de l'eau.
       
         Ballantine s’est précipité pour lâcher à son tour une salve en automatique, visant la masse herculéenne. Et c'est quatre nouveaux projectiles qui lui labourent sa puissante poitrine avec un bruit sourd. Mais la « chose » ne semble pas en souffrir pour autant … Elle s’est redressée, abandonnant le corps sans réaction du Mexicain qu'elle avait transporté jusque là. Avec un nouveau rugissement, elle pénètre précipitamment dans les eaux tièdes et profondes de l’étang où elle ne tarde pas à disparaître, provoquant un léger tourbillon, après avoir encaissé deux nouvelles décharges dans la tête expédiées par Diego.  
       
         D'un œil attentif et durant un court instant, les cinq hommes ont scruté l'étendue du lac, avant de se précipiter vers l'infortuné Carlos allongé sur l'herbe, la face contre terre.
        
         Ballantine entreprend de le retourner précautionneusement sur le dos, guettant un souffle de vie et c'est d'une voix rassurée qu'il s'adresse à ses compagnons ...
       
         - Tout va bien. Il respire. Il est simplement évanoui.
       
         Diego, qui est allé recueillir un peu d’eau dans le creux de ses mains, en asperge le visage de son compatriote, qui ne tarde pas  à refaire surface. Il a à peine repris contact avec la réalité, que ses traits s’animent de tics nerveux. Ses yeux semblent agrandis par une terreur indescriptible, reflétant une panique incontrôlable. La bouche grande ouverte, il dévisage ses compagnons tour à tour, avant de s’agripper sans aucun ménagement et d’une main tenace au col de chemise du professeur.
       
         - El Diablos !  Malo ! El Diablos a attaqué Carlos !… s’écrie-t-il, le regard vide.
       
         - Ca va aller. Il n'y a plus aucun danger. Allons, tout va bien maintenant...  le tranquillise Ballantine, sur un ton se voulant rassurant, tentant de le ramener à la raison. 
       
         Mais la frayeur ne semble pas vouloir quitter le visage du Mexicain, qui inlassablement, persiste à ressasser la même rengaine.   
       
         - Il est commotionné. Laissons-le récupérer... conseille le professeur en s'efforçant de détacher la main crispée du malheureux, qui s'acharne sur le col de sa chemise, le faisant friser la strangulation.
       
         - Vous avez vou ! Cette créatoure a la face dou diablos Sénor... récidive le plaignant Miguel.
       
         - Ah non ! Tu ne vas pas recommencer tes jérémiades !… s’emporte Ballantine… Tu as bien vu que cette bête, enfin ... cette chose ... avait un corps ! ... Elle s'est débarrassée de Carlos sitôt après que Diego lui ait collé du plomb dans l’aile ! Enfin quoi Miguel ! Rends-toi à la réalité nom d'un chien !
       
         C’est toutefois la mine perplexe, que le susnommé les a rejoint, après avoir arpenté en vain les abords du lac.
       
         - C'est courieux Sénor, il n'y a aucoune trace dé sang sour lé sol !  Yé l'ai pourtant touché à la cuisse et à la tête... prétend-il en brandissant fièrement son arme, dont le canon est encore tiède.
       
         - Tu es certain de ce que tu avances ?... insiste Ballantine.
       
         - Vénez vous rendré compte vous-même Sénor.
       
         Et, entraînant notre ami, Diego lui désigne les empreintes en fer à cheval encore fraîches. Mais il faut se rendre à l'évidence. Aucune trace de sang n'apparaît sur l'herbe, même à l'endroit où l’être fantastique a abandonné l’infortuné Carlos.
       
         Ballantine est revenu près de Winter, l'esprit embué, pour le prendre discrètement à part.
       
         - Diego a raison professeur. C'est à n'y rien comprendre ! Je suis moi-même certain d'avoir touché cette créature à la poitrine. Et vous avez vu ! Elle n'a même pas semblé s'en soucier !
       
         - C’est curieux en effet. Notre compagnon vient d'affirmer qu'il l'avait blessée lui aussi. D'ailleurs, c'est certainement la raison pour laquelle cette monstruosité s'est débarrassée de Carlos... souligne Winter avec raison.
       
         - Je pense que cette « chose » a été prise à l'improviste. Elle ne s'attendait pas à nous trouver ici, près de sa tanière. C'est l'effet de surprise qui lui a certainement valu d’abandonner sa prise et rien d'autre. Avec ce qu'elle vient d'encaisser, elle devrait être salement amochée. Voire même étendue raide sur le carreau.
       
         - Vous avez peut-être raison Dany. Les balles seraient alors curieusement sans effet sur ce monstre qui, de surcroît, ne ressemble à aucun animal répertorié sur la planète à ce jour... mentionne pensivement le professeur... Outre cela, vous avez remarqué cette absence  de faciès au départ ! Puis subitement, comme par enchantement, cette boule de vapeur verte s'est dissipée pour découvrir un aspect bestial aux yeux étranges, avant de se confondre en une espèce de brouillard vaporeux et verdâtre !   
       
         - Cette monstruosité m’a tout l’air d'un spectre brumeux sorti de sa sépulture préhistorique ! Nous allons de mystère en mystère professeur. Il ne faudrait pas que cela perdure ou nous courrons vers la folie, abstraction faite des chicleros sur lesquels nous n'allons plus pouvoir compter. Miguel n'a peut-être pas tout à fait tort après tout.
       
         - Que voulez-vous dire par-là ?
       
         - Il s'agit peut-être du diable en personne !

    Extrait de : Les Sondeurs du Temps ( de Stephan LEWIS ) -

         Edition épuisée en librairie -

     

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