• a - l'ombredu miroir
     
    L'Ombre du Miroir

    Stephan LEWIS
     
     
            Comme à l'accoutumée, Catherine est seule, ce soir, pour fêter son trentième anniversaire dans l'intimité de son petit appartement. Cloîtrée dans sa solitude, elle n'a ni amie, ni compagnon et ne fréquente pour ainsi dire, personne. Complexée par un physique disgracieux, elle sort rarement. Mal à l'aise moralement et physiquement, elle n'a de cesse de se soustraire à l'assaut du regard des autres. Sa tristesse permanente relève d'un besoin affectif, d'une amitié et d'une tendresse qu'elle n'a jamais connus. Sa volonté d'être un jour aux côtés de celui qui partagerait son quotidien, l'a toujours tenue en échec. Elle aurait tant désiré avoir un enfant, une charmante petite fille, jolie et différente de ce qu'elle est ; un peu comme une revanche prise sur la triste existence qu'est la sienne, sans but et sans avenir. Et bien qu'un homme ne se soit jamais intéressé à elle jusqu'à présent, sa stérilité aurait été un obstacle à la conception d'un enfant. En outre, les démarches entreprises en vue d'une adoption n'ont jamais abouti. L'agrément lui ayant été à chaque fois refusé, étant donnés ses maigres revenus.
     
            Elle songe à la vie merveilleuse qu'elle aurait vécue, si la nature ne l'avait aussi mal pourvue. Avec un soupir de résignation, méditant sur son infortune, elle a jeté un regard distrait vers le grand miroir mural hérité de sa grand mère, dans lequel elle n'ose jamais se mirer. Mais elle a aussitôt tressailli. Il lui a semblé, l'espace d'un court instant, que le psyché avait soudainement cessé de suivre ses gestes.
           
            La mine étonnée, les sourcils froncés et le regard vissé sur la grande glace, elle s'est attelée, sans grande conviction, à la surveiller d'un œil attentif durant quelques secondes, avec un soupçon d'incrédulité. Mais comme elle s'y attendait, ce n'est que la vision de son visage ingrat qui lui est renvoyée. Avec un haussement d'épaules et après avoir laissé fuser un soupir haché, elle allait détacher son regard de cette image frustrante, lorsque son cœur a fait un bond dans sa poitrine ...
     
            A sa plus vive stupéfaction, son reflet s'est subitement effacé, pour laisser place à une étrange nébulosité qui envahit peu à peu la surface réfléchissante, qu'elle fixe cette fois avec étonnement. Le singulier brouillard s'est rapidement transformé en une forme fluidique d'apparence humaine ... Une ombre, encore imprécise, a aussitôt glissé dans l'encadrement biseauté.
     
            Les yeux écarquillés, figée dans une attitude d'incompréhension et de stupeur paralysante, Catherine a senti son estomac se contracter. Son cœur s'est mis à battre à un rythme insensé. Elle assiste alors, ébahie et bouche bée, à l'émergence invraisemblable de cette image spectrale, subitement métamorphosée en une silhouette voûtée de nature charnelle, sortie tout droit du néant.
     
            Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l'étrange phénomène n'a pas tardé à se concrétiser sous la forme d'une femme âgée, d'apparence crasseuse et hideuse, courbée sous le poids d'une énorme bosse. Elle est revêtue d'une cape noire défraîchie et usée. Une longue chevelure couleur de lin lui tombe jusqu'aux épaules, encadrant un visage maigre et ridé, au nez et menton pointus, sous lequel ont poussé d'horribles poils. Des joues creuses accentuent une mâchoire carrée édentée. Ses oreilles, semblables à celles des chauve-souris, sont animées de légers mouvements. La peau du visage et des mains sont d'une couleur vert grenouille. L'aspect de l'entité est aussi terrifiant que repoussant, caractérisant une laideur poussée à son paroxysme.
     
            D'un léger bond, elle est sortie du miroir pour sauter sur le sol.
     
            - Bonjour Catherine... laisse-t-elle tomber d'une voix désincarnée, tandis que son regard, curieusement voilé, s'est posé sur la jeune femme, ébahie et terrorisée.
     
            Une lueur d'effroi s'est allumée dans ses prunelles et un cri de stupeur a fusé d'entre ses lèvres. Elle détaille l'apparition cauchemardesque d'un air éberlué, tandis qu'elle s'en éloigne à reculons.
     
            - N'aie crainte Catherine. Je suis là pour t'aider... déclare l'entité d'une voix sépulcrale, en ayant un geste apaisant.
     
            Une intense stupéfaction s'est peinte sur le visage de la jeune femme.
     
            - Qui ... Qui êtes-vous ?...parvient-elle à marmonner d'une voix étranglée, en se passant une main tremblante sur le front.
     
            - Cela a peu d'importance... rétorque calmement l'étrange créature... Je suis ici pour réaliser ton vœu.
     
            - Quel ... Quel vœu ?... lâche mécaniquement la jeune femme du bout des lèvres, tandis que tout son être est sujet à un tremblement nerveux incontrôlable.
     
            - Ce que tu désires par-dessus tout. Pouvoir être mère d'une petite fille. Aussi jolie que tu es laide... précise l'entité.
     
            - Comment savez-vous ?... s'effare Catherine, sur un ton dénotant de son désarroi.
     
            - Peu importe. Je suis en mesure de réaliser ce souhait... prétend l'apparition... Mais tu dois me promettre une chose. Rien qu'une seule. Et sans y défaillir... stipule-t-elle d'une voix traînante et caverneuse.
     
            - Laquelle ?... balbutie la jeune femme, dont le visage figé s'apparente tout à coup à celui d'un mannequin de cire.
     
            - Tu devras impérativement garder le secret sur cette rencontre. Tu ne devras jamais en parler à qui que ce soit, ni en faire la moindre allusion. C'est la seule et unique exigence que je formule. Mais tu dois en faire le serment. Alors, si tu désires vraiment cette enfant, je veux ta parole.
     
            - Je ... je vous la donne et je le jure... bafouille-t-elle, la voix tremblante, en acquiesçant d'un signe de tête, sans trop réaliser.
     
            - Cela me suffit. Tu auras donc cette enfant... conclut l'entité. Et sans rien ajouter, elle a aussitôt bondi dans le miroir, pour s'y fondre sans le moindre bruit.
     
            Le visage blême, le souffle court, Catherine s'est laissée aller mollement sur un siège, brusquement sujette à un léger malaise. Elle éprouve quelque peine à reprendre contact avec la réalité. Après avoir recouvré tant bien que mal ses esprits, elle s'est levée en épongeant la sueur froide perlant sur son front. Le cœur battant et d'un pas hésitant, dominant péniblement sa frayeur, elle s'est approchée de la grande glace de la salle à manger. La gorge nouée par l'angoisse et l'appréhension de voir une nouvelle fois apparaître l'horrible femme, elle a posé une main sur le miroir, afin de s'assurer de sa consistance. L'esprit embrouillé, elle s'est frotté les paupières à plusieurs reprises. Elle a l'impression étrange d'avoir été transportée, durant quelques instants, dans un monde irréel. Peut-être a-t-elle été tout simplement abusée par une imagination trop fertile d'un désir secret de vouloir à tout prix un enfant. Il se peut aussi qu'elle ait été victime d'une hallucination. Incapable de maîtriser le tremblement interne qui lui paralyse encore les membres, elle s'est dirigée, presque en titubant, vers la salle de bain pour y prendre une douche froide.
     
            1 mois 1/2 plus tard ...
     
            Catherine a repris le cours d'une vie normale. Elle tente d'oublier sa précédente et étrange mésaventure. Elle se demande encore si elle n'a pas imaginé toute cette histoire. Bien qu'elle n'ait jamais prêté attention à sa ligne, elle a constaté, avec surprise, qu'elle avait pris quelques kilos en peu de temps. N'ayant pas un tempérament boulimique, cette prise soudaine de poids n'a pas été sans l'étonner. Elle ne s'en est pas inquiétée outre mesure. Mais depuis quelques jours, étant sujette à des nausées fréquentes et difficiles à supporter, elle a décidé de consulter son médecin traitant.
     
            Elle s'attendait à tout, sauf à ce diagnostic effarent relevant du miracle ! D'après l'examen pratiqué par le généraliste, elle présenterait tous les symptômes et signes sympathiques de la grossesse ! Or, étant donné son infertilité et le fait qu'elle n'ait jamais eu la moindre relation sexuelle, c'est d'un air ébahi et déconcerté qu'elle a pris congé du praticien.
     
            Sur le chemin du retour, au volant de sa vieille Renault 5, l'esprit ailleurs, elle ressasse les paroles "bénies" du praticien, égrenées comme dans un rêve : " Vous êtes enceinte Catherine" ... Elle ne parvient pas à croire à ce bonheur si brutal ! ... Des larmes de joie inondent son visage, la faisant zigzaguer sur la route. Elle n'avait donc pas imaginé cette étrange visite d'un soir. La vieille dame du miroir lui avait bel et bien rendu visite et avait apparemment tenu ses promesses.
     
            20 ans plus tard ...
     
            Depuis la naissance de Marie, sa fille adorée, Catherine n'a plus été la même. Sa vie s'est complètement transformée en basculant dans un bonheur parfait. Les gens qui parlent d'elles, les définissent comme "la belle et la bête" ... Marie est en effet devenue une magnifique jeune femme douce et affectueuse, au physique élancé et à la beauté exceptionnelle et resplendissante. Elle a de longs cheveux blonds bouclés et de grands yeux verts. Studieuse et intelligente, elle est en troisième cycle d'étude à la Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie à Paris.
     
            C'est aujourd'hui vendredi, le jour de son anniversaire. Elle est venue le fêter chez sa mère et passera le week-end avec elle. Elle ne regagnera Paris que lundi, où elle a loué une petite chambre d'étudiante qu'elle partage avec une amie.
     
            Catherine est radieuse d'avoir Marie auprès d'elle pour quelques jours. Toutes deux bavardent dans la salle à manger et Catherine a ressorti l'album photos. C'est avec une émotion intense qu'elle tourne les pages, sur lesquelles n'est visible que Marie. Elle y figure depuis sa plus tendre enfance.
     
            - Tu ne m'as jamais questionnée sur l'identité de ton père... mentionne-t-elle à brûle-pourpoint, en se tournant vers sa fille avec une moue de perplexité.
     
            Marie a eu un sursaut de surprise.
     
            - Non maman. En effet... rétorque-t-elle sur un ton détaché, dénotant ouvertement de son désintéressement vis-à-vis de son géniteur.
     
            - Tu ne t'es jamais posé de questions à ce sujet ?...poursuit Catherine, en levant un sourcil interrogateur sur sa fille.
     
            - Non. Si tu avais jugé utile de m'en parler, tu l'aurais fait depuis longtemps... banalise-t-elle avec un geste d'indifférence.
     
            - Il faut néanmoins que tu saches, Marie. Ce que je vais te raconter va te paraître invraisemblable, mais c'est la stricte vérité.
     
            L'intéressée lui a retourné un regard dérouté ...
     
            - Voilà... commence Catherine sur le ton de la confidence... Il y a exactement 20 ans, il m'est arrivé une chose inconcevable et extraordinaire. Une femme âgée, encore plus laide que moi, ayant tout de la sorcière, m'est apparue dans cette glace... narre-t-elle en désignant le grand miroir.
           
            Marie a quitté précipitamment sa chaise. Ses yeux, pourtant si clairs, se sont assombris. Elle a porté un regard chargé de réprobation sur sa mère, mettant de ce fait un terme rapide à ses confidences.
     
            - Tu m'avais promis maman ! Tu m'avais pourtant promis... lance-t-elle inopinément, sur un ton de reproches, au bord des larmes.
     
            Catherine a eu un imperceptible froncement de sourcils, avant de se redresser à son tour. Elle considère aussitôt Marie d'un air interloqué, une flamme d'inquiétude dans le regard ; ses propos, dont elle refuse de saisir le sens, ayant sonné comme un désaveu.
     
            - Que veux-tu dire ?... appréhende-t-elle d'une voix tremblante, ravalant nerveusement sa salive à plusieurs reprises.
     
            - Tu m'avais promis... ressasse inlassablement Marie d'une voix qui a pris un ton tragique, en tendant un index rageur vers la coupable, avant d'éclater en sanglots.
     
            Figée de saisissement, Catherine a ébauché un geste désemparé. La paupière et le sourcil surélevés, ses yeux reflètent un étonnement sans bornes.
     
            Marie s'est étranglée de larmes, levant vers sa mère un regard désespéré dans lequel se lit une profonde amertume et ses paroles sont à présent devenues quasiment inaudibles. Seuls ses gémissements troublent encore le silence lourd et oppressant qui s'est installé dans la pièce, tandis que son corps semble subitement se métamorphoser sous les yeux hagards de sa mère ... Son merveilleux visage à la peau matte et délicate, s'est coloré d'une teinte vert grenouille, avant de se diluer progressivement pour adopter un vieillissement prématuré, à présent couvert de verrues et autres callosités. Ses yeux clairs ont pris la couleur du silex. Son corps semble s'être ratatiné et une monstrueuse bosse déforme à présent son dos.
    Sa respiration s'est faite haletante. Des larmes dans les yeux, elle s'est tournée une dernière fois vers Catherine, blanche comme un linge et muette de stupeur ...
     
            - Mais pourquoi ? Pourquoi !... s'exclame cette dernière d’une voix crispée, dans un mouvement trahissant son désarroi.
     
            - Parce que tu n'as pas tenu ta promesse... rétorque l'ombre, d'une voix désincarnée, en ébauchant un geste fataliste, avant de bondir dans le grand miroir, pour s'y s'évanouir à tout jamais, en poussant un long cri de détresse ...
     
    * (droits déposés)
     

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    montre-2
     
    Le Médecin de Campagne
     
    Stephan LEWIS
     
     
            Paul et Marie sont passés devant monsieur le Maire il y a de cela près de trente cinq années. Paul est médecin de campagne à Saint-Marcan, petit village d'Île-et-Vilaine, qui compte un peu plus de 400 âmes. Il est le seul généraliste sur place. De très bonne heure le matin, il sillonne les routes départementales pour se rendre chez ses nombreux patients des villages avoisinants, avant de commencer ses consultations. Ses visites à domicile effectuées chez les personnes âgées ayant des difficultés à se déplacer sont devenues indispensables. Il a fait le choix d'exercer dans cette voie par vocation, mais la profession en zone rurale ne fait plus rêver. Si bien que, malgré son âge avancé, il n'a pas encore pris le temps de penser à la retraite, n'ayant pas réussi à trouver de successeur. La relève risque en effet de ne pas être assurée et son cabinet est certainement voué à disparaître.
     
            Marie, quant à elle, s'occupe de la maison et gère l'emploi du temps de son époux.

            En ce mois de décembre, Noël est proche et une sévère épidémie de grippe sévit dans le secteur. Etant donné les besoins et la carence en praticiens généralistes, Paul est très sollicité. Après une journée harassante, il est rentré tard dans la soirée prendre un léger repas à la hâte. Ses visites n'en sont pas pour autant terminées. Quelques malades restent à voir dans la localité voisine. Il a donc informé son épouse qu'il ne rentrerait que tard dans la nuit et qu'elle ne devait pas l'attendre pour se mettre au lit.
     
            22 h 45 ...
     
            Marie, après avoir suivi un documentaire à la télévision, n'a pas tardé à se coucher. Elle en a maintenant pris l'habitude. Les obligations de son mari sont devenues monnaie courante dans ce milieu agreste frappé par la désertification médicale. Elle n'a d'ailleurs pas tardé à s'endormir.
     
            2 h 06 du matin ...
     
            Marie vient de se réveiller, tandis que l'horloge du salon égrène inlassablement les secondes. L'esprit engourdi elle constate, en tâtonnant et avec soulagement, que Paul est rentré. Sans prendre le risque de le réveiller, elle s'est tournée de son côté. Il dort sur le dos, d'un sommeil réparateur lent et profond. Comme toujours, il a encore eu la délicatesse de ne pas la déranger en se glissant discrètement sous les couvertures. Rassurée qu'il ne soit plus sur les routes de campagne à cette heure de la nuit et par ce temps, elle s'est penchée pour lui déposer un baiser sur le front. Le dormeur a grogné avant de changer sa position pour s'installer sur le côté opposé à son épouse. Sans allumer, afin d'éviter de le réveiller, Marie s'est versée un verre d'eau avant de se rendormir.
     
            Elle sommeille depuis d'une demi heure, lorsque le tintamarre de la sonnette d'entrée résonne dans toute la maison, la réveillant en sursaut. Le cœur battant, elle met quelques instants à réagir ... Paul dort du sommeil du juste, il ne semble n'avoir rien entendu. Etant habituée aux appels de nuit lors de cas urgents, elle s'est pressée de s'extirper du lit et s'est dirigée vers la porte d'entrée après avoir enfilé une robe de chambre et chaussé ses savates.
     
            Surprise ... !!!!!! La porte s'est ouverte sur son mari.
     
            - Paul ! Mais que ...? s'effare-t-elle, d'une voix aussi tremblante qu'émotionnée, ne trouvant plus ses mots, détaillant son époux d'un air aussi hébété qu'éberlué.
     
            - Excuse-moi de t'avoir réveillée. J'ai oublié mes clés. Et comme un pépin n'arrive jamais seul, j'ai aussi perdu ma montre à gousset. Mais que t'arrive-t-il, tu sembles terrorisée ! Je suis si laid que cela ?... plaisante-t-il en souriant.
     
            - Non, mais tu ... tu es déjà à la maison ! Je viens encore de te voir dans notre lit !... !, balbutie-t-elle, la mine stupéfaite, en refermant la porte d'un mouvement désemparé.
     
            - Cela m'étonnerait... sourit Paul en se défaisant de son manteau. Je reviens de Cherrueix (village situé à 10 km de Saint-Marcan). Je me suis trouvé dans l'obligation de faire hospitaliser mon patient. J'ai dû perdre ma montre à ce moment là en aidant l'ambulancier à l'emmener. Et comme tu peux le constater, c'est bien moi en chair et en os... conclut-il en riant.
     
            - Mais pourtant tu... persiste-t-elle avec un geste d'évidence, peinant à terminer ses phrases et se dirigeant d'un pas hésitant vers la chambre... Tu étais encore ici il y a un instant... insiste-t-elle avec un tremblement dans la voix, tout en constatant que le lit est inoccupé... Je ne comprends pas... s'émeut-elle à présent, la tête entre les mains, visiblement sur le point de perdre la raison.
     
            - Tu as rêvé... sourit encore Paul. Tu as transité de l'état de rêve à la réalité. Cette forme de pathologie est imputable à la fatigue. Ma présence que tu as cru constater tout à l'heure, est le fruit de ton imagination... commente-t-il en se débarrassant de ses vêtements pour enfiler son pyjama.
     
            Peu convaincue, Marie a exhalé un soupir de résignation avant de se remettre au lit ; tandis que Paul a écarté les draps pour s'y glisser à son tour. Il se préparait déjà à éteindre la lumière de sa lampe de chevet, quant un petit objet brillant, posé sur sa taie d'oreiller, a attiré son attention.
     
            Les sourcils en accents circonflexes et la bouche grande ouverte, il est demeuré figé comme une statue.
     
            - Qu'y a-t-il ?... s'inquiète aussitôt Marie, posant à son tour son regard sur l'objet... Mais ... c'est ta montre à gousset !!!!!!!
     
    * (droits déposés)
     

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  • A - MUSEE
     
    Le Musée
     
    Stephan LEWIS
     
     
     
    Vendredi 29 septembre 2011
     
    En cette magnifique fin de journée parisienne, Martin, célibataire trentenaire, flâne depuis une heure dans les couloirs interminables de la galerie Rolf Lutz. Grand amateur d'art, il a toujours entretenu une passion inégalée pour la peinture.
     
    Il vient de marquer une pause devant un tableau de Guy de Montlaur, peintre contemporain français décédé en 1977. Il en est à s'interroger sur la vie de cet artiste méconnu du grand public, lorsqu'un léger bruissement attire son attention. Un homme d'une soixantaine d'années, dont il n'avait pas soupçonné la présence, se tient immobile dans l'encoignure de la galerie, non loin de l'œuvre du peintre. Il a immédiatement remarqué qu'il était élégamment vêtu. A cette heure de la journée où l'obscurité s'est progressivement répandue dans le musée qui ne devrait d'ailleurs plus tarder à fermer ses portes, la plupart des visiteurs a déjà déserté les lieux. Par politesse, Martin lui a adressé un salut d'un hochement de tête, auquel l'autre a aussitôt répondu avant de s'approcher, presque timidement.
     
    - Guy de Villardi, comte de Montlaur appartenait à l'une des plus anciennes maisons de France... murmure-t-il du bout des lèvres... Vous connaissez son œuvre ?
     
    - Plus ou moins. Si je me souviens bien, c'était un peintre expressionniste. J'avoue être tombé sur cette toile par hasard.
     
    - Il a en fait subi l'influence de différents courants. Du cubisme en 1943-1945 à l'art libératoire à la fin de sa vie, en passant par la période baroque dans les années 60. Une légende urbaine prétend que son fantôme se manifesterait de temps à autre dans la galerie.
     
    - Ah bon... sourit Martin, pour le moins subitement intrigué.
     
    - Le bruit court qu'il veillerait jalousement sur cette peinture qu'il réalisa juste avant sa mort... précise l'homme en désignant l'œuvre du peintre intitulée "Mater Dei" ...
     
    - Ce tableau prône une évidente émotion... note Martin... Il s'en dégage certains sentiments par le biais de ses formes abstraites bien qu'irréelles, mais très représentatives. On y voit nettement l'utilisation du couteau à palette... commente-t-il encore pensivement.
     
    - Effectivement. Et c'est vers la fin de sa vie que son style évoluera. Sa pratique de l'art abstrait, comme vous pouvez le constater, lui permettra d'exprimer totalement sa passion intérieure.
     
    - Vous semblez bien connaître ce peintre... s'étonne Martin.
     
    - En effet. Je suis un passionné des arts et je me rends très souvent dans ce musée. J'en connais tous les recoins.
    - Vous avez une opinion sur le fait qu'il soit malencontreusement resté dans l'anonymat ?
     
    - Elle vaut ce qu'elle vaut. Mais pour moi, son savoir-faire aurait dû être reconnu par ses pairs. Il se devait d'être considéré comme l'un des maîtres de l'expressionnisme. Toute sa vie, bien qu'ayant exprimé différents courants, il a souffert de l'indifférence de la profession à son égard, laquelle n'a jamais légitimé son talent.
     
    - En tant qu'habitué des lieux, avez-vous eu l'occasion d'apercevoir son spectre ? ... risque Martin, l'air enjoué.
     
    - Malheureusement non. Mais quelques visiteurs, appartenant à ses rares admirateurs, auraient eu ce privilège en l'identifiant, à leur plus profond désarroi, au détour d'un couloir. Précisément en fin de journée, lorsque tombe le soir. Cette singulière rencontre n'aurait duré, d'après leurs dires, que l'espace d'un instant, avant que l'apparition ne se volatilise en quelques fractions de secondes.
     
    - Alors patience... sourit Martin... Si cette légende est bien fondée, nous ne devrions plus tarder à nous en assurer.
     
    - Ce n'est qu'une fable, mais sait-on jamais... rétorque l'homme... Maintenant je dois vous laisser. Vous me voyez très heureux d'avoir pu avoir cette petite conversation avec vous. Je vous souhaite une excellente fin de journée.
     
    Ce disant, l'inconnu a aussitôt tourné les talons en saluant une dernière fois son interlocuteur d'un soir d'un bref mouvement de chapeau.
     
    Martin a tout de suite remarqué sa canne martelant le sol. Ce détail insignifiant lui avait échappé, étant donné l'inertie passagère de l'inconnu. La moue encore amusée par ses confidences au demeurant des plus singulières, il s'est contenté de lui jeter un dernier regard banal avant de s'attarder une dernière fois sur la toile. Puis, il s'est dirigé nonchalamment vers la sortie à son tour, lorsqu'une étoffe de couleur jonchant le sol attire son attention. Il s'est aussitôt baissé pour s'en emparer. Il s'agit d'un mouchoir fantaisie en mousseline de soie bleue, plié en deux sur la diagonale, de façon à former un triangle. Ce pli en TV ayant l'allure d'une enveloppe fermée devait servir de pochette à son propriétaire. Etant donné la tenue raffinée de son précédent interlocuteur, la pièce d'étoffe peut lui appartenir. Il l'aura malencontreusement laissée choir sur le sol, sitôt après avoir pris congé de leur conversation.
     
    Pressé de lui rendre son bien, Martin a aussitôt accéléré le pas afin de rattraper son propriétaire, le martèlement de sa canne résonnant dans les couloirs du musée. Il n'en est plus qu'à quelques mètres, lorsque sa silhouette disparaît au détour du couloir, au moment même ou le martèlement de sa canne cesse brusquement de se faire entendre. Martin n'a pas tardé à franchir le coude à son tour, s'attendant naturellement à rejoindre l'homme en question. Mais la porte de sortie, qui est maintenant visible, ne lui découvre que l'un des gardiens du musée, visiblement pressé de refermer le lourd portail sur les derniers retardataires.
    Surpris de ne pas se trouver en présence de son précédent interlocuteur, Martin se renseigne aussitôt auprès du surveillant. Ce dernier lui indique qu'aucun visiteur correspondant à la description qui lui en est faite, n'a quitté le musée durant ces derniers instants. L'homme n'a pu s'égarer, le sens de la visite étant fléché et le dernier couloir emprunté menant obligatoirement vers la sortie n'a aucune autre issue. En outre, Martin se rappelle que l'inconnu lui avait confié être un habitué des lieux.
     
    Déconcerté, il a quitté le bâtiment après avoir remercié l'employé. C'est machinalement qu'il a déplié le mouchoir de soie bleutée, sur un coin duquel, et à sa stupéfaction, sont brodées deux initiales : G.M.
     
    * (droits déposés)
     
       SUITE DE LA LECTURE = Cliquez sur le chiffre 2 plus bas -
     
     
     

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    A-L'Appartement

     

    L'Appartement

     
    Stephan LEWIS
     
           
            Patrick, un jeune célibataire de 25 ans, a récemment emménagé dans un appartement parisien du XVIème, afin de rapprocher son lieu de travail. Le programme télévisé qu'il visionnait depuis le début de soirée ayant fini par le lasser, l'a incité à se mettre au lit.
     
            L'horloge du salon indique 23h15, lorsque des coups frappés à sa porte avec insistance et aussitôt associés à un concert de sonneries, le sortent brutalement de sa léthargie naissante. Il s'est réveillé en sursaut. Le cœur battant, les yeux hagards, il s'est redressé sur un coude et s'est passé une main ouverte dans les cheveux. Qui peut bien le déranger à cette heure, dans cet immeuble où il ne connaît encore personne ? L'esprit empli d'une évidente suspicion, il a enfilé ses savates et a passé sa veste d'intérieur, avant de se diriger à pas feutrés vers la porte d'entrée, à tâtons dans le noir, sans allumer l'interrupteur. Prêtant l’oreille et l'œil collé au judas, c'est le visage blême d'une jeune femme, visiblement affolée, qui lui apparaît dans la lumière du long couloir.
     
            - S'il vous plaît, ouvrez je vous en supplie !... implore-t-elle d'une voix crispée, sur un ton empressé ...
     
            La mine ennuyée et la main sur le bec-de-cane, Patrick hésite en esquissant une grimace de contrariété, évitant de faire le moindre bruit ... Que peut donc lui vouloir cette inconnue à pareille heure ?
     
            - Ouvrez-moi, ouvrez-moi !... insiste la jeune femme d'une voix de plus en plus tendue, entrecoupée de sanglots spasmodiques.
     
            Subitement confronté à un sentiment de culpabilité en refusant son assistance à cette jeune personne manifestement en détresse, c'est la compassion qui prend subitement le pas sur l'indifférence. Et c'est par réflexe que Patrick a tourné la clé dans la serrure pour libérer la porte qui s'est aussitôt ouverte sur l'inconnue.
     
            A sa stupéfaction et avant même d'y avoir été conviée, elle s'est ruée à l'intérieur de l'appartement en éclatant en sanglots, manquant de bousculer son locataire.
     
            Déconcerté, ce dernier a refermé la porte après avoir vérifié que le couloir était désert. Il a aussitôt allumé la lumière. Et c'est d'un air embarrassé et interloqué, qu'il détaille cette jeune personne à peine âgée de plus d'une vingtaine d'années, au demeurant audacieuse, voire même sans gêne, qui s'est introduite de manière si légère dans son intimité. Elle a l'air d'un animal traqué et sa respiration est saccadée, courte, presque précipitée. Son visage tendre et juvénile, parsemé de quelques taches de rousseur, couvert d'ecchymoses et ravagé par les larmes, reflète la plus extrême frayeur. Ses cheveux blonds en bataille et le peignoir dont elle est vêtue, déchiré en divers endroits, lui confèrent un air dément.
     
            En reniflant bruyamment, elle le dévisage à son tour avec des yeux de saphir, pâles et transparents. Elle a essuyé furtivement ses larmes avec des mains aussi blanches que le marbre.
     
            - Calmez-vous mademoiselle... Que vous arrive-t-il donc pour que vous vous mettiez dans un tel état ?... s'émeut Patrick en esquissant un geste apaisant.
     
            - C'est à cause de mon ami... sanglote-t-elle.
     
            - Votre ami ? Vous demeurez dans cet immeuble ?
     
            - Oui, à cet étage.
     
            - Vous vous êtes disputés ?... pressent Patrick, sourcils froncés.
     
            - Regardez ce qu'il m'a encore fait... le convie-t-elle aussitôt, en lui dévoilant son faciès gauche contusionné.
     
            - Il vous a frappée !... en déduit tout naturellement Patrick avec une grimace de dépit.
     
            - Il m'a cogné dessus à plusieurs reprises. Puis-je passer la nuit ici monsieur, s'il vous plaît ?... le sollicite-t-elle à brûle pourpoint d'une voix subitement suppliante, en écrasant une larme.
     
            - C'est que ... je n'ai que cette chambre... argumente-t-il gauchement, ne s'attendant certes pas à une telle requête émanant d'une inconnue ; cherchant même ses mots devant cette situation des plus délicates ...
     
            - Je dormirai là... le presse-t-elle précipitamment en désignant le canapé encore encombré de quelques cartons du déménagement, tandis que des larmes ont de nouveau roulé sur ses joues.
     
            - Je ne voudrais pas m'attirer d'ennuis avec votre compagnon... argumente Patrick, manifestement contrarié par cette sollicitation au demeurant préjudiciable.
     
            - Il n'y a aucun danger. Il ne me cherchera pas ici ... le tranquillise-t-elle entre deux sanglots.
     
            Un embarras marqué s'est peint sur le visage de Patrick.
     
            - Bon. C'est bien pour vous rendre service. Installez-vous du mieux que vous pourrez. Je vais vous chercher de quoi vous couvrir.
     
            Bientôt étendue sur le canapé et enroulée dans sa couverture, la jeune femme n'a pas tardé à s'endormir comme une masse, après avoir étouffé quelques sanglots. Et c'est avec un haussement d'épaules et après avoir jeté un dernier coup d'œil dans son judas, que Patrick a regagné sa chambre.
     
            Le lendemain, 7 h 38 ...
     
            Le bruit de la rue qui s'est amplifié a réveillé notre dormeur, dont les yeux sont encore gonflés de sommeil. Son réveil n'a pas sonné, étant donné qu'il bénéficie de quelques jours de vacances, conséquemment à son déménagement. Il s'est étiré paresseusement en étouffant un long bâillement. Puis, sa mésaventure de la veille lui venant à l'esprit, il s'est pressé de passer sa veste d'intérieur. Traînant les pieds dans ses savates, il s'est dirigé nonchalamment vers le salon où se trouve la jeune femme.
     
            Surprise ! ... La couverture est soigneusement pliée sur le divan, mais cette dernière a disparu.
     
            Le visage marqué par l'étonnement, il est allé condamner sa porte afin de pouvoir prendre sa douche en toute tranquillité. Son intruse d'un soir a dû regagner le domicile conjugal et s'être réconciliée avec son compagnon. Il ne connaît même pas son identité. Peu importe. Peut-être la croisera-t-il plus tard dans l'ascenseur ou la rencontrera-t-il dans le quartier. Sans y accorder plus d'importance, il a aussitôt vaqué à ses occupations quotidiennes.
     
            23 H 10 ...
     
            Patrick vient d'éteindre son téléviseur et se prépare à gagner sa chambre, lorsque des coups assourdissants sont frappés à sa porte, le faisant sursauter. La sonnette ne tarde pas à prendre le relais, résonnant dans tout l'immeuble avec insistance.
     
            Avec un geste de mauvaise humeur, il s'est approché du seuil d'entrée pour jeter un œil énervé à travers le judas. Il en reste aussitôt bouche bée, les sourcils en accents circonflexes. Le visage qu'il vient de distinguer est celui de la jeune femme en pleurs, hébergée la veille.
     
            - Encore vous !... ne peut-il s'empêcher de s'exclamer d'une voix irritée à travers la porte.
     
            - Ouvrez-moi monsieur, je vous en supplie !...Vite ouvrez-moi, il va me tuer !
     
            Avec une grimace de contrariété, Patrick s'est exécuté de mauvaise grâce, laissant fuser un long soupir de résignation.
     
            La porte s'est à peine ouverte, qu'elle s'est écroulée dans ses bras en étouffant un gémissement, avant de se confondre en remerciements.
     
            - Merci ! Merci !... ne cesse-t-elle de ressasser inlassablement... Tout son corps est agité d’un tremblement nerveux et ses traits sont restés figés en un masque douloureux, reflétant encore une terreur folle.
     
            Patrick a immédiatement remarqué que sa joue droite était tuméfiée et que des couleurs violacées s'étendaient sous l’œil droit.
     
            - Vous devriez prévenir la police... grimace-t-il en refermant la porte... Mais vous saignez du nez et houla !! Cette fois, il vous a salement amochée... poursuit-il en constatant les multiples contusions apparentes sur le visage de la malheureuse... Je contacte immédiatement le poste de police... décrète-t-il d'office avec un mouvement d'humeur.
     
            Il s'est aussitôt dirigé vers le combiné téléphonique, en proie à une fureur naissante contre l'auteur anonyme de ces souffrances gratuites infligées à cette pauvre femme, qui est apparemment son incessante souffre-douleur.
     
            - Non, ne faites pas ça monsieur !... se presse-t-elle de supplier, levant sur lui un regard désemparé, peinant à réfréner ses sanglots et se tordant inconsciemment les mains.
     
            - Mais, vous ne pouvez pas continuer à subir de telles sévices !... s'emporte Patrick... Il vous bat fréquemment ?
     
            - Seulement lorsqu'il a bu... lâche-t-elle du bout des lèvres en reniflant.
     
            - Regardez-moi ça ! Vous avez l'arcade sourcilière ouverte ! Vous ne pouvez plus vivre dans cette terreur permanente et vous laisser humilier de la sorte. Cet énergumène finira par vous tuer !
     
            - Je ne veux pas qu'il ait d'ennuis monsieur... le prie-t-elle précipitamment, de nouveau au bord des larmes... Ce comportement n'est pas le sien lorsqu'il ne boit pas.
     
            - Ce n'est pas une raison et vous avez tort de le défendre de la sorte.
     
            - S'il vous plaît monsieur, laissez-moi dormir sur le divan. Demain il s'excusera de m'avoir frappée. Je vous en prie.
     
            La lèvre gonflée en une moue d'ennui, Patrick semble loin d'être convaincu par ses propos optimistes. Il s'est contenté d'opiner de la tête, marquant néanmoins sa désapprobation par un geste fataliste. Puis il est allé chercher des couvertures.
     
            - Voilà... soupire-t-il en les déposant sur le lit de fortune. Mais c'est la dernière fois. Je ne tiens pas à être mêlé à vos histoires de couple. Vous devriez en parler à la police. Mais c'est votre affaire. Je vous souhaite de passer une bonne nuit.
    Ce disant et en ronchonnant, Patrick a gagné sa chambre, l'air dépité.
     
            7 H 40 ...
     
            Patrick vient d'entrouvrir timidement une paupière, ébloui par la lumière qui filtre au travers des rideaux. C'est une belle journée qui s'annonce, le soleil est au rendez-vous. Il en profitera pour cheminer dans Paris, la reprise du travail étant programmée pour le début de semaine prochaine.
     
            Il a passé sa veste d'intérieur et s'est dirigé, comme à son habitude, vers le salon, se demandant si son hôte était encore présente. La couverture a été pliée sur le canapé, mais la dormeuse brille une nouvelle fois par son absence.
     
            Comme la veille, et sans y accorder plus d'importance, il a condamné la porte en esquissant un geste d'indifférence, avant de se rendre sous la douche.
     
            23 h 25 ...
     
            La sonnette d'entrée vient de retentir, surprenant Patrick en train de lire dans son lit. Avec une grimace de contrariété, il a posé son livre sur la table de nuit et a enfilé ses savates. Il s'est aussitôt dirigé vers la porte, la sonnerie se faisant de plus en plus insistante, tandis que des coups répétés sont maintenant frappés sur le battant.
     
            - C'est pas vrai !... peste-t-il avec un geste d'humeur, en laissant échapper un soupir d’énervement. Et c'est sans la moindre surprise qu'il découvre la silhouette de la jeune femme des soirées précédentes à travers le judas, dont les traits, figés en un masque douloureux, reflètent de nouveau la terreur.
     
            La porte s'est à peine ouverte, que c'est sans même lui en demander la permission qu'elle s'est engouffrée précipitamment une fois de plus à l'intérieur de l'appartement, pour s'effondrer en pleurs sur le canapé.
     
            La moue irritée, en proie à une colère naissante, Patrick a refermé la porte d'un mouvement sec de la main, consécutif à sa mauvaise humeur.
     
            - Cela ne peut continuer ! Où vous croyez-vous mademoiselle ? Je désapprouve votre conduite et condamne celle de votre piteux compagnon. Et si vous ne vous rendez pas dans un poste de police, c'est moi qui irai déposer plainte. Et contre vous cette fois... s'emporte-t-il, l'air exaspéré, la menace assortie d'un juron.
     
            - Je vous en conjure monsieur... supplie-t-elle d'une voix étranglée en reniflant bruyamment, le visage enfoui au creux de ses mains, les épaules secouées par de silencieux sanglots nerveux... Laissez-moi dormir ici cette nuit où il va me tuer... argumente-t-elle sur un ton tragique, la lèvre inférieure sujette à un léger tremblement.
     
            - Mais vous vous rendez compte de la situation ? Et regardez dans quel état cet imbécile vous a encore mise !... s'indigne-t-il en haussant le ton, constatant qu'un mince filet de sang s'écoule le long de son oreille gauche et que son visage est encore tuméfié... Tamponnez-vous la tempe avec ce mouchoir. J'aime autant vous dire que c'est bien la dernière fois que vous passerez la nuit chez moi. Si demain vous me dérangez encore à cette heure tardive, je téléphonerai à la police.
     
            - C'est promis monsieur. C'est la dernière fois que je vous ennuie. Je vous remercie infiniment pour votre bonté... assure-t-elle d'une voix larmoyante.
     
            Sans accorder le moindre crédit à ses dires et après avoir soigné sommairement ses blessures, Patrick est de nouveau allé se munir de la couverture. Avec un soupir d'énervement, il l'a déposée sur les genoux de l'importune, déjà installée sur le canapé.
     
            - Je vous souhaite une agréable nuit mademoiselle. Mais dites-vous bien que c'est la dernière fois que je cède à vos doléances. Je vous conseille encore une fois de déposer une plainte auprès des services de police. Cette formalité est à accomplir dans l'urgence.
     
            Et Patrick s'est aussitôt dirigé vers sa chambre, en ayant un mouvement d'épaules fataliste, l'heure étant déjà bien avancée.
     
            Le lendemain matin, 7 h 27 ...
     
            Patrick a mal dormi, ressassant sans cesse les visites intempestives de la jeune inconnue. L'esprit embrouillé, il a sauté en bas du lit pour constater une nouvelle fois et sans surprise, la disparition prématurée de sa protégée.
     
            Après une douche froide qui lui a clarifié l'esprit, il a expédié son petit déjeuner à la hâte, agrémenté d'un café corsé. Exaspéré, mais inquiet, il a quitté l'immeuble avec la ferme intention de se rendre au poste de police le plus proche.
     
            L'inspecteur qui l'a reçu l'a invité à le suivre dans son bureau. Il est demeuré des plus attentifs à son audition et lui a présenté quelques photos de femmes battues, le priant de bien vouloir vérifier si l'inconnue en question figurait sur l'une d'elles.
     
            Après en avoir consulté quelques-unes, Patrick a pointé l'une des photographies sans la moindre hésitation, identifiant avec assurance l'intéressée.
     
            Le policier, après l'avoir examinée, a dévisagé Patrick, sourcils froncés, en se passant lentement la main sur le menton, signe d'une évidente suspicion.
     
            - Quoi ? Qu'y a-t-il ?... s'étonne ce dernier.
     
            - Vous êtes certain que c'est bien cette personne qui vous a rendu visite ces trois dernières nuits ?...
     
            - Absolument. Je ne pourrai jamais oublier son visage.
     
            - Bizarre votre histoire. Cette jeune femme est décédée la semaine dernière, après avoir été battue à mort par son concubin ...
    * (droits déposés)
     
     
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  •           Le Téléphone                                                                                  

    - Stephan LEWIS -
         

     
           Catherine et Julie, deux amies âgées de 14 ans, ont obtenu la permission parentale de partager la soirée et la nuit de vendredi à samedi.
          
           La première a donc invité la seconde, fière de lui faire découvrir son univers. La maison est très spacieuse. Elles ont passé la fin de la journée au sous-sol où se trouve la salle de jeux.
          
           Vers 20h30, les parents de Catherine, conviés à une soirée, ont fait leurs recommandations aux jeunes filles, afin que tout se déroule sans incident durant leur courte absence. Il a été convenu qu’elles regarderaient le film comique joué à la télévision avant de se mettre au lit.
         
            22 h 40 …
     
            - Il est déjà l’heure d’aller se coucher … soupire Catherine, négligemment allongée sur le canapé, se lissant ses longs cheveux blonds d’une main distraite.
           
            - Tu as sommeil ?… s’enquiert Julie, installée confortablement au creux d’un fauteuil et manifestement peu encline à se mettre au lit.
            
            - Non pas trop. Et toi ?         
           
            - Moi non plus. 
           
            - J’ai une idée… se réjouit déjà Catherine, l’air amusé, en éteignant le récepteur… Si on faisait une farce à quelqu’un avec le téléphone ?… suggère-t-elle à brûle-pourpoint, le visage éclairé d'un sourire espiègle.    
           
            - Une farce ?… s’étonne Julie, en affichant une mimique de surprise.
           
            - Oui, une blague quoi. Je me suis déjà prêtée à ce petit jeu. Tu verras, c’est marrant. Tu appelles une personne au hasard et tu lui poses une question débile. Elle ne tarde pas à se mettre en colère. Et hop, tu lui raccroches au nez !
           
            - Super ! Allez on le fait… s’enthousiasme déjà Julie en étouffant un bâillement, mais apparemment emballée par l’idée saugrenue de son amie. 
          
            C’est donc sans attendre, que Catherine s’est emparée d’un combiné, sur le clavier duquel elle s’est mise à pianoter fortuitement un numéro.
          
            Une voix d’homme, à l’intonation peu amène, ne tarde pas à se manifester à l’autre bout du fil.
          
            - Allô ! Qui est à l’appareil ?… se presse-t-il de demander.
          
            - Bonsoir monsieur. C’est pour une enquête… feint Catherine, tandis que son amie se retient de pouffer de rire.
           
            - Une enquête !… s’étonne l’autre… Et à cette heure ?  C’est une plaisanterie !… suspecte-t-il encore.
           
            - Non, non monsieur. On voulait simplement savoir … si votre grand-mère faisait du vélo ?… raille-t-elle effrontément en éclatant d’un rire moqueur, avant de replacer précipitamment le combiné sur son support, écourtant prématurément ce bref babillage.
         
            Subitement sujettes à un fou rire incontrôlable, les deux adolescentes mettent plusieurs minutes à récupérer, avant de pouvoir échanger leurs impressions sur la farce qui vient d’être jouée et qu’elles savourent sans aucune retenue.
         
            - C’est curieux… glousse Catherine, la remarque involontairement entrecoupée de rires spasmodiques et étouffés … mais il me semble connaître la voix de ce type !… confie-t-elle, perplexe.
          
            - Ce serait vraiment une coïncidence, étant donné que tu as composé un numéro au hasard… s’étonne Julie, les yeux larmoyants, maîtrisant avec peine cette hilarité communicative.
          
            La sonnerie du téléphone qui a retenti, a mis un terme à cette jubilation exubérante, qui s’est éteinte dans une sorte de hoquet
          
            - Tu .. tu crois que c’est « lui » qui rappelle ?… appréhende subitement Julie, dont la liesse d’un instant a fait place à l’inquiétude.
          
            - On répond ?… hésite Catherine, prise du même doute.
         
            - C’est peut-être quelqu’un d’autre…  escompte Julie, sans grande conviction.
          
            - A cette heure !… souligne Catherine, la moue dubitative.
         
            Plongées dans la même incertitude angoissante, les deux adolescentes subissent à présent les assauts incessants du timbre téléphonique, qui leur vrille les tympans avec acharnement.
        
            - Et si c’étaient tes parents désireux de s’assurer que tout va bien !… rappelle Julie.
        
            - Tu as raison. Et de toute manière, si c’est ce type, on s’excusera. C’était pas bien méchant après tout… minimise Catherine, banalisant la plaisanterie d’un geste d’indifférence.
        
            Ce disant, elle se décide à décrocher ...
         
            Mais à l’autre bout du fil, c’est un silence de mort tendu et inquiétant qui répond à leur attente …Plusieurs secondes s’écoulent, sans que leur mystérieux correspondant daigne se manifester. 
         
            Les deux intéressées ont échangé des regards étonnés. Et c’est avec un haussement d’épaules, que Catherine a replacé l’appareil sur son support.
        
            - Certainement une erreur de numéro… soupire-t-elle.
        
            Mais elles ont aussitôt sursauté, la sonnerie du téléphone retentissant de nouveau.
        
            D’un geste hésitant, Catherine a libéré le combiné de son support.
        
            - Allô !… J'écoute !…risque-t-elle timidement, avec un tremblement d’inquiétude dans la voix.
         
            - On ne se moque pas impunément du monde comme vous le faites mesdemoiselles… lui rétorque la voix déjà entendue ultérieurement.
        
            - C’est lui !… chuchote Catherine, subitement mal à l’aise.
        
            - Votre raillerie ne m’a pas amusé… poursuit l’autre d’une voix sèche reflétant son mécontentement d’avoir été la victime de ce quolibet à pareille heure.
         
            - Je m’excuse de vous avoir importuné monsieur. J’espère que vous n’êtes pas fâché ?… se confond Catherine d’une voix déconfite et modulée, adoptant un ton volontairement innocent, voire contrit.
         
            - Vous allez pouvoir le constater par vous-mêmes. Car vous êtes deux, si je ne me trompe ?
         
            Les intéressées ont échangé des regards déroutés.
         
            -  Comment ça le … constater… a pâli Catherine en déglutissant nerveusement à plusieurs reprises, au risque de s’étrangler..
         
            - J’ai votre numéro. Je peux savoir où vous êtes. Je vais me rendre à votre domicile. J’ai une sainte horreur des farces imbéciles. Je vais vous découper en petits morceaux. .. menace-t-il avec une ironie glacée dans le son de sa voix. 
         
            Et l’inquiétant personnage a aussitôt raccroché, laissant les deux adolescentes dans l’expectative.
        
            - Tu crois qu’il était sérieux… frissonne Julie, perplexe.
        
            - Il a certainement voulu nous faire peur pour nous punir de l’avoir éconduit de la sorte… tente de dédramatiser son amie, le visage blême, désireuse de s’en persuader elle-même. 
        
            Mais elles ont de nouveau tressailli, le timbre du téléphone résonnant une nouvelle fois.
         
            La main tremblante, Catherine a hésité durant une poignée de secondes avant de se décider à se saisir du combiné et a conjointement connecté le haut parleur.
        
            - C’est encore ce cinglé … pressent Julie d’une voix angoissée …
        
            Catherine n’a pas eu le temps d’apporter de réponse, qu’une voix se manifeste à l’autre bout du fil …
        
            - Encore envie de fanfaronner, jeunes filles ?… ricane-t-elle.
        
            - C’est lui !… a frémi Catherine, croisant le regard désemparé de son amie, dont la blancheur du visage s’est intensifiée.
         
            D’un geste à la fois nerveux et paniqué, elle s’est pressée de raccrocher à son tour. 
         
            Sans échanger le moindre mot, les deux adolescentes, déconcertées et éperdues, gardent le regard rivé sur le téléphone. Immobiles et semblables à des statues de marbre, plongées dans une hypnose démentielle, elles ont tressauté à sa sonnerie intempestive qui troue à nouveau le silence. Elle résonne sans répit encore et encore dans leur corps, dans leur tête, telle une menace grandissante à travers la nuit. Les nerfs à vif, manifestement résignées à subir l’impensable, elles se sentent, l’une comme l’autre, incapables de continuer à faire face à cette situation devenue insupportable et qui menace de leur faire perdre la raison.
         
            Et c’est bientôt le répondeur qui assure la relève. 
         
            - Je suis devant votre porte. Je vais entrer régler mes comptes … menace cette fois la même voix, les ramenant à la réalité.
         
            Un cri d’effroi s’est échappé des lèvres des deux amies en plein désarroi, qui ont échangé des regards affolés.
        
            - La lumière !… Eteins la lumière !… s’est écriée Julie d’une voix blanche, complètement paniquée.
        
            La pièce est rapidement plongée dans le noir et les verrous tirés précipitamment ; tandis que des coups secs et violents sont à présent assénés contre la porte d’entrée.
        
            Au bord des larmes et le cœur battant à un rythme endiablé, les deux infortunées, les traits crispés, s’imaginent leur dernière heure arrivée.
        
            Puis, subitement, plus rien … silence total …leur calvaire semble avoir pris fin. Seul, un chien hurle dans la pénombre de la rue déserte.
        
            - Que fait-on ? Il va revenir !… balbutie Julie, le visage blême, agité d’un tremblement nerveux.
        
            - Je ne sais pas. J’ai peur… sanglote Catherine.
        
            Plusieurs minutes se sont à présent écoulées, sans que la menace ne se soit de nouveau manifestée.
        
            - Son numéro est encore sur l’écran du téléphone… mentionne Catherine avec des fragments de sanglots dans la voix... Je vais le rappeler pour le prier de cesser ses absurdités. Faute de quoi je l’avertis que je préviens la gendarmerie.
         
            - Espérons que ce cinglé nous laissera tranquilles… hoquette Julie, en essuyant une larme d’un revers de main, tandis que son visage tendre et juvénile aux taches de rousseur, continue de refléter la plus extrême frayeur.
         
            D’une main tremblante, Catherine s’affaire aussitôt à rappeler l’inconnu, d’après ses coordonnées demeurées en mémoire.
         
            - « Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué ou n’est plus en service. Nous regrettons de ne pouvoir donner suite à votre appel » indique une bande passante.
        
            Les deux jeunes filles ont échangé des regards interdits.
        
            - Tu t’es trompée … présume  tout naturellement Julie.
        
            - J’ai utilisé la touche « bis » !… se justifie Catherine en faisant une nouvelle tentative.
        
            Mais c’est le même message d’erreur qui se fait de nouveau entendre.
         
            - J’y pense… se ravise Julie, la mine réfléchie… Sur ton ordinateur, tu peux chercher le nom de cette personne à l’aide du numéro inversé. Nous saurons immédiatement où elle habite !  
        
            -  Bonne idée… acquiesce Catherine en s’exécutant promptement.
           
            ………. Surprise … ! ! ! !
        
            - C’est … c’est le numéro de … de mon voisin d’à côté … murmure cette dernière du bout des lèvres.
        
            -  Cela explique tout ! Tu vois bien que c’était une plaisanterie… anticipe Julie…Il a reconnu ton numéro et a voulu te faire une farce à son tour. Ce qui est tout de même étrange, c’est la teneur de ce message indiquant que son numéro ne soit plus attribué. 
        
            - Non. C’est impossible… hoquette Catherine, la lèvre inférieure légèrement tremblante, tandis que ses traits reflètent la plus vive terreur.
        
            - Comment ça impossible ?… s’étonne Julie. 
        
            - Parce que la maison est vide. Cet homme qui vivait seul, est décédé la semaine dernière ...
     
     
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